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1) Préface

La sagesse humaine que nous appelons la «Philosophie» a sa place bien marquée dans l'organisation de notre savoir, entre les sciences particulières qu'elle doit achever et couronner, et la sagesse théologique, qu'elle doit préparer et servir. Elle a sa structure propre et sa valeur vraiment scientifique, indépendamment de la foi catholique, comme des découvertes «scientifiques» modernes, mais en pleine harmonie avec l'une et les autres. Cette thèse, brillamment défendue dès le moyen âge par saint Albert le Grand et saint Thomas d'Aquin et familière à l'école thomiste, est loin d'être unanimement acceptée, il est vrai. Ce «Précis de Philosophie» voudrait la prouver, comme on prouve le mouvement en marchant.

Il n'est pas une oeuvre de polémique; et le rappel des diverses opinions sur chaque question est réduit au minimum, en renvoyant pour plus de détails aux ouvrages spéciaux d'Histoire de la Philosophie. Il est avant tout un exposé constructif, appliquant aux problèmes généraux de la philosophie la méthode même des sciences modernes : il s'appuie sans cesse sur les constatations d'expérience qu'il interprète à la lumière des principes évidents de la raison. De la sorte, non seulement il peut réclamer pour ses conclusions la même valeur que celle des lois scientifiques, mais il lui est aisé de se développer en pleine harmonie avec les sciences modernes. Non point que cette harmonie apparaisse toujours d'emblée : on connaît assez les multiples domaines où savants et philosophes semblent se contredire : théories de la matière, de l'évolution, de la liberté, des faits sociaux, et tant d'autres. Ce «Précis» ne se contente pas d'une solution générale ou de principe donnée une fois pour toutes : il reprend pour chaque cas l'examen des conflits possibles et il montre toujours la pleine harmonie des conclusions démontrées soit en philosophie, soit en sciences positives, même si les oppositions persistent dans le libre champ des hypothèses. Il s'adresse ainsi à tous ceux que les sciences modernes inquiètent par leurs suggestions parfois troublantes, et il leur propose une solution qui, tout en proclamant la valeur incontestable de la «science», rassure parfaitement leur bon sens et leur foi.

Leur «foi» disons-nous; car, d'un autre côté, ce «Précis» défend une philosophie franchement chrétienne, en ce sens du moins que partout où les théories rationnelles y invitent, il marque nettement leur accord avec la Révélation. Aussi s'adresse-t-il également aux séminaristes qui désirent trouver dans leur philosophie une préparation efficace aux études théologiques. Il ne manque pas, certes, d'excellents Manuels poursuivant ce but. Mais la plupart, écrits en latin, langue officielle de l'Église, réduisent à l'excès la part des problèmes modernes; et les Manuels français, à l'opposé, destinés à la préparation de la seconde partie du Baccalauréat, négligent trop les doctrines métaphysiques indispensables aux futurs théologiens. C'est une synthèse que tous demandent. Quelques-uns déjà l'ont tentée [°1], non sans mérite. Ce «Précis», fruit de longues années d'enseignement, s'efforce de progresser dans le même sens et de combler enfin ce désir en présentant en un tout cohérent, logiquement ordonné, toute la matière utile au futur théologien et à l'aspirant bachelier. De là l'emploi de la langue française et les larges développements accordés aux traités modernes, comme la psychologie expérimentale et les sciences positives de l'homme, l'économie, la sociologie. Ces derniers traités débordent même les exigences du programme officiel (Baccalauréat IIe Partie); et ils intéresseront bien des lecteurs cultivés, attirés par les questions actuelles du communisme, du syndicalisme, et des vastes et complexes questions sociales.

Philosophe chrétien, l'auteur voudrait l'être encore en s'inspirant dans ses solutions de la sagesse séculaire des Pères et Docteurs de l'Église, recommandée par Léon XIII en son encyclique Aeterni Patris et toujours vivante en la synthèse de saint Thomas d'Aquin. Le lecteur, cependant, constatera aisément que bien des problèmes traditionnellement discutés dans les Manuels thomistes, sont ou absents, ou réduits à la portion congrue. Ils étaient actuels au XIIIe ou au XVIe siècle. Aujourd'hui, ce sont d'autres problèmes qui doivent attirer d'abord l'attention. Ne serait-ce pas, d'ailleurs, la meilleure façon d'être disciple de frère Thomas d'Aquin qui sut, au XIIIe siècle rénover par sa méthode et sa doctrine toutes les vieilles routines de la théologie de son temps?

Puisse cette lumineuse pensée thomiste apporter à nos contemporains la solution cherchée à tous ces problèmes si embrouillés; si angoissants parfois de notre siècle! Et si l'humble sagesse humaine d'un «Précis de Philosophie» n'y suffit pas, elle les orientera du moins, avec un tel guide, vers la pleine vérité de la divine Sagesse de la foi catholique.

F.-J. THONNARD,
des Augustins de l'Assomption.
Avril 1950.


2) «Post-Préface» de Stefan Jetchick

Cher amoureux de la sagesse,
Chère amoureuse de la sagesse,

Tout d'abord, j'ai un peu l'impression d'être un vandale qui fait des graffitis sur une oeuvre d'art, avec cette «Post-Préface» au Précis de philosophie de F.-J. Thonnard. Mais je me sens obligé de vous dire quelques mots, pour essayer de vous éviter des souffrances inutiles.

Un homme averti en vaut deux. Faites-donc attention aux obstacles suivants dans ce livre:

2.1) Obstacles causés par Stefan Jetchick:

2.1.1) Numérisation imparfaite. J'ai fait presque seul la numérisation du «Précis de Philosophie» ainsi que du «Précis d'histoire de Philosophie» de Thonnard. Je trouve encore par-ci, par-là, des erreurs de numérisation, malgré tous mes efforts. Si vous en trouvez, SVP m'avertir. Aussi, si vous êtes en train de lire une copie papier, ou une copie qui ne se trouve pas sur mon site web, vous risquez d'avoir une version moins à jour, avec plus d'erreurs. En cas de doute, visitez la version sur mon site web.

2.1.2) Possibilité d'erreurs introduites par moi-même. Thonnard n'est pas la Bible, alors quand j'ai l'impression que Thonnard se trompe, je le corrige. Si j'ai l'impression de faire une correction mineure (typographie, virgule manquante, référence cassée, etc.), je l'intègre dans le texte sans l'indiquer. Si j'ai l'impression que c'est une correction majeure, je rajoute une note de bas de page (précédée de «SJJ» pour indiquer que c'est «Stefan Jean Jetchick» qui l'écrit), expliquant la correction et montrant l'original, selon moi erroné.

2.1.3) Possibilité d'erreurs de français introduites par moi-même. Thonnard fait parfois des phrases très longues (ou mon intelligence est très courte). Alors. Je. Rajoute. Des. Points. (Comme aurait pu dire Winnie the Pooh: «I am a Bear of very little brain, and long sentences do bother me...»)

2.1.4) Élimination (temporaire) des différences dans la taille des polices de caractères. Pour distinguer les développements de la trame primitive de l'ouvrage, certaines parties étaient présentés en petit texte par Thonnard. Par paresse, pour l'instant je mets tout dans la même taille de police de caractères.

2.1.5) Fautes de grec. Les accents dans le texte grec original sont souvent illisibles. Par exemple, est-ce un upsilon minuscule avec perispomeni et dasia ou psili? Je ne connais pas le grec, alors ne vous fiez pas à moi. Quelqu'un va devoir tout réviser le texte grec.

2.1.6) Prudence ou «butance»? Le mot «prudence» en français de nos jours signifie le plus souvent «précaution». À chaque fois que Thonnard dit des choses comme «prudence» ou «prudemment» ou «prudentiel», j'éprouve une envie quasi-irrésistible de faire de la publicité pour mon néologisme génial, original, brillant et surtout très humble: la «butance» (et les dérivés encore plus incongrus comme «butant» ou «butanciel»). Je pensais que ceci pourrait aider le lecteur à distinguer entre la «prudence-précaution», et la «prudence-vertu cardinale» (qui nous fait découvrir les moyens pour atteindre le but). Enfin, j'ai essayé d'enlever mes graffitis néologiques, pour épargner vos yeux.

2.2) Obstacles causés par nos préjugés et notre culture:

2.2.1) L'effet «Jean-Paul Sartre». De nombreuses personnes n'ont pour aliment intellectuel que des romans. Quand ces gens rencontrent des livres comme ceux de Thonnard, ils se disent: «Mais c'est archi-mauvais! Ça ne se lit pas comme un roman!» Sauf que Thonnard est un savant, un homme de Science, pas un romancier. Oui, il n'y a pas d'images. Oui, il n'y a pas de héros beau et musclé qui va secourir la belle poulette en détresse. Oui, ça peut paraître ennuyant à lire au début. Courage! Vous êtes capable de forger une nouvelle habitude de lecture, l'habitude de lire un livre sérieux!

2.2.2) Le choc culturel catholique. Thonnard était un prêtre catholique, et nous vivons dans une société presque entièrement déchristianisée. C'est normal d'être un peu dépaysé. Si Thonnard se trompe, dites-le moi, je vais le corriger. Mais si Thonnard dit des choses agaçantes pour vous en ce moment, attendez un peu de vous accoutumer avant de tirer des conclusions.

2.3) Obstacles causés par les manuels de philosophie. Tout manuel de philosophie a certains désavantages intrinsèques. Selon moi, ces désavantages ne sont pas nécessairement catastrophiques, mais il faut les connaître:

2.3.1) Matière condensée. Le gros bon sens nous dit qu'un résumé n'est pas la même chose que l'original, et tout manuel tente de résumer. Saint Thomas d'Aquin, au début de son manuel de théologie (la Somme), dit qu'il va tenter, avec l'aide de Dieu, d'exposer le contenu de cette science «aussi brièvement et clairement que la matière elle-même le permet».

2.3.2) Risque de trahir la pensée du maître. Dès qu'on tente d'expliquer la pensée de quelqu'un d'autre, on court le risque de la trahir. Écouter Aristote ou saint Thomas d'Aquin, ce n'est pas la même chose que d'écouter Thonnard (et encore moins Jetchick!). Un manuel de philosophie ne remplacera jamais le contact direct avec les grands auteurs. Par contre, il ne faut pas non plus tomber dans l'idolâtrie. Rien n'empêche un grand auteur moderne d'écrire un manuel de philosophie! (C'est d'ailleurs ce qu'a fait saint Thomas d'Aquin avec la théologie de son temps.) De plus, comme on le voit même dans nos conversations quotidiennes, parfois une personne réussit à reformuler de façon plus claire et brève l'idée de quelqu'un d'autre.

Je dois aussi rajouter que Thonnard a fait tout son possible pour éviter ce problème. N'oubliez pas que notre situation actuelle est très différente de celle de Thonnard. De nos jours, presque tous les philosophes sont disponibles gratuitement, à un clique de distance, sur Internet! C'est ahurissant! Du temps de Thonnard, un étudiant ordinaire, avec un budget forcément modeste, ne pouvait absolument pas imaginer remplir sa petite étagère dans sa garçonnière avec tous les livres de tous les philosophes! Thonnard a donc tenté d'y suppléer, avec son livre intitulé: Extraits des grands philosophes, Paris, Desclée, 1937. Cette tentative semble ridicule lorsque comparée à notre situation actuelle, mais il ne faut pas perdre de vue que, à part inventer l'Internet, c'était tout ce que Thonnard pouvait faire pour encourager ses étudiants à ne pas se satisfaire des Manuels de philosophie.

2.3.3) Une esquisse de preuve n'est pas une preuve. Si un biologiste fait une expérience longue et compliquée, et en arrive à une conclusion solide, on peut répéter cette conclusion dans une revue. Sauf que la conclusion de l'expérience n'est pas la science. La science, c'est la conclusion, mais aussi toute l'expérience qui justifie cette conclusion! Même chose en mathématique: le Théorème de Pythagore, sans sa démonstration, ce n'est pas strictement parlant de la science mathématique. Mais la philosophie aussi est une science, alors si on «s'abreuve» uniquement aux résumés, aux conclusions, sans refaire toute la longue exploration des possibilités, sans se heurter à toutes les «apories» comme disait Aristote, sans considérer toutes les objections comme le fait saint Thomas d'Aquin au début de chaque article de la Somme, sans refaire tout le raisonnement qui a mené à la conclusion, on risque d'attraper une mauvaise habitude philosophique. Les manuels, surtout les mauvais, risquent «d'infecter» les étudiants avec cette erreur. Par contre, il ne faut pas non plus tomber dans la superstition. On peut avertir les étudiants de ce risque, leur faire faire des raisonnements au long (pour qu'ils voient bien la différence entre une simple conclusion, et tout le raisonnement qui le sous-tend), et finalement continuellement leur rappeler en parlant «d'esquisse de preuve» plutôt que de «preuve» dans le manuel de philosophie. Mais ne pourrait-on pas tout simplement éliminer ce risque en ne donnant que des preuves complètes, sans jamais donner seulement une esquisse de preuve et sa conclusion? Non. Le même argument en faveur des lois (qui sont seulement la conclusion d'un raisonnement) vaut aussi en philosophie. Voir Les Deux béquilles de l'agir humain: la loi et les sanctions.

2.3.4) L'ordre d'exposition n'est pas nécessairement l'ordre d'invention. Comme le dit Étienne Gilson dans son Introduction à la philosophie chrétienne, pp. 117-118: «ceux qui "exposent" sont bien rarement ceux qui inventent, ou, quand ce sont les mêmes, ils nous cachent en exposant leur art d'inventer, si bien que nous ne savons nous-même comment ré-inventer en mettant pas dans leurs pas, ce qui est pourtant la seule manière d'apprendre». Dans mes mots, tout Manuel court le risque d'induire le lecteur en erreur, en nous «mettant la nourriture toute cuite dans le bec», sans nous montrer comment voler de nos propres ailes pour aller attraper notre nourriture. Quand un Manuel vous expose des choses toutes claires et bien ordonnées, dites-vous que c'était probablement pas aussi clair et aussi ordonné que ça, avant d'avoir été découvert! D'un autre côté, il faut bien à un moment donné avoir une vue d'ensemble, aussi claire, brève et ordonnée que possible.

2.4) Obstacles causés par F.-J. Thonnard:

2.4.1) L'introduction générale très abrupte. Si ça peut vous aider, la première fois que j'ai lu l'Introduction générale, j'ai eu l'impression de refaire mon baccalauréat en philosophie (3 années) en l'espace de quelques pages. Ouf!

2.4.2) L'introduction métaphysique en Philosophie de la nature. Entre le début de la Physique, et la Métaphysique, il y a certaines choses en commun. Plutôt que de les répéter (doucement en Physique, et avec des explications plus en profondeur en Métaphysique), Thonnard met tout dès le départ (et il explique pourquoi il le fait, et pourquoi on pourrait procéder autrement). Là aussi, c'est plus concis tout en étant correct au point de vue de la matière, mais «la pente est raide» pour les débutants. On peut penser que Thonnard, n'ayant pas l'Internet, devait respecter une limite au nombre de pages, fixée par son éditeur. Pourrait-on «re-séparer» les deux? Sûrement. Ce n'est pas la place qui nous manque. Mais Thonnard en sait beaucoup plus que moi, alors je préfère présumer qu'il sait ce qu'il fait. De plus, Aristote lui-même appelle la Métaphysique: la «philosophie première». Et j'ai déjà entendu des professeurs dire que, strictement parlant, la Logique pouvait être classée comme une partie de la Mathématique. Donc nous pourrions nous crêper le chignon en disant que le Manuel de philosophie de Thonnard commence avec le commencement!
Voir aussi la note °1881.

2.4.3) Désuétude de certaines références bibliographiques. Thonnard est décédé, donc forcément il n'est pas au courant des dernières publications! Il va falloir éventuellement mettre à jour les bibliographies, surtout dans le traité de la Philosophie de la nature.

2.4.4) Renvois erronés au Précis d'histoire de la philosophie. D'après les dates des copyright, il y a eu plusieurs éditions du Précis d'histoire de la philosophie (PHDP), certaines postérieures à la date de copyright du Précis de philosophie (PDP). Or le PDP réfère souvent à un numéro de paragraphe du PHDP. De plus, les éditions subséquentes du PHDP semblent avoir surtout modifié les philosophes plus modernes (au pif, tout avant Kant semble ne pas avoir changé). Donc quand le PDP pointe vers une section du PHDP modifiée, les renvois sont souvent mauvais. Parfois c'est facile à corriger d'après le contexte. Si je ne suis pas sûr, j'essaie de corriger quand même et de l'indiquer dans une note de bas de page.

2.5) Réponses à certaines critiques contre F.-J. Thonnard. Certains «obstacles» supposément causés par F.-J. Thonnard ne sont pas vraiment des obstacles. J'en parle ici, parce que je n'avais pas d'idée brillante où les mettre:

2.5.1) «Thonnard ne respecte pas parfaitement le vocabulaire d'Aristote et de saint Thomas!». «Par exemple, si on prend Thonnard, il parle de logique matérielle et de logique formelle. C'est beau, mais où retrouve-t-on cela chez Aristote et saint Thomas? Nulle part. C'est tout un vocabulaire technique qui n'est pas nécessaire.» À un moment donné, il ne faut pas s'enfarger dans les fleurs du tapis! Oui, peut-être que Aristote n'a pas utilisé les expressions «logique formelle», «logique matérielle», mais Aristote (comme n'importe qui d'autre) voit bien qu'un argument peut avoir une forme parfaite, tout en étant composé de propositions complètement fausses. On a bien le droit d'inventer des étiquettes qui aident les étudiants à comprendre! Ce genre d'objection me fait penser aux Témoins de Jéhovah, qui rejettent la Trinité car le mot «Trinité» n'apparaît pas dans la Bible.

2.5.2) «Thonnard n'est pas écrit en grec ou en latin, donc c'est mauvais!» Du calme, du calme! Voir «1.1) Le fétichisme du latin» dans Pourquoi saint Thomas d'Aquin?.

Bonne étude!

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