| Accueil >> Varia >> Livres >> Précis de philosophie

[précédente] [suivante]

Éthique (§1117 à §1145)

Note: Si le grec classique ne s'affiche pas correctement sur votre fureteur Internet, SVP lire Comment peut-on lire/écrire des caractères grecs dans une page HTML?.

Article 3. Le droit naturel social.

b102) Bibliographie spéciale (Le droit naturel social)

§1117). Les phénomènes d'ordre juridique sur lesquels se fondent d'ordinaire les modernes pour établir une notion positive du droit, ressortissent le plus souvent à la vie en société: les échanges économiques eux-mêmes, achats et ventes, etc., bien que constituant d'abord l'exercice du droit individuel de propriété, ont un aspect évidemment social, comme en font foi les lois réglementant le commerce. C'est que l'action de la société, en couronnant les efforts de la personne humaine pour atteindre son but, rejaillit sur toutes les autres démarches et les pénètre en les portant à leur perfection. Pour dégager clairement ces notions importantes, nous examinerons d'abord la nature de la société en général; puis les deux sociétés naturelles indispensables à l'humanité: la famille et la société civile ou politique, qui doit naturellement se compléter par une organisation internationale. D'où quatre paragraphes:

1. - La société en général.
2. - La famille.
3. - La société politique.
4. - Le droit international.

1. - La société en général.

Thèse 10. L'homme ne pouvant réaliser individuellement sa destinée, il a l'obligation morale, de droit naturel, de vivre en société [°1502].

A) Explication.

§1118). Si l'observation externe seule définit malaisément le fait social, elle nous fournira une idée très nette, en l'éclairant par le principe de finalité tel qu'il s'exerce en psychologie et en théodicée.

Toute société suppose d'abord un rassemblement plus ou moins nombreux de personnes humaines. Nul pourtant n'appellera société le rassemblement d'une foire où cependant les activités humaines sont en relation de dépendance et de ressemblance: c'est que chacun y travaille pour soi. Le propre de la société est de s'entendre pour réaliser un but commun.

D'où vient cette entente mutuelle qui, évidemment, requiert de chacun certains sacrifices? Pourquoi chacun des musiciens, par exemple, accepte-t-il la sujétion au chef commun, au lieu de poursuivre à son gré, individuellement, la beauté des sons, sinon parce que l'association produira une harmonie dont l'excellence dépasse clairement tous les efforts individuels? Ainsi le bien commun, but de la société, doit se définir: «un degré supérieur de bien, obtenu par l'aide mutuelle». Un bien commun quelconque est essentiel à toute société [°1503]: chaque membre n'y abandonne une part de ses droits que pour en recevoir une compensation plus riche; et si, au point de vue de certains biens ou droits intérieurs, l'individu est pour la société qui peut en exiger le sacrifice, toujours, au point de vue des droits et biens les meilleurs, c'est la société qui est pour la personne humaine dont le plein épanouissement est en dernier ressort l'unique fin dernière moralement bonne.

Ainsi conçu, le bien commun heurtera souvent le bien personnel apparent [°1504] des membres de la société: il serait irréalisable sans l'intervention d'un organe chargé de fixer à chacun les sacrifices à faire, et de les imposer au nom de tous: c'est l'autorité que nous définirons: la puissance morale de commander tout ce qui est requis pour le bien commun.

Tels sont donc les éléments de toute société qu'il faut définir: «un groupe d'hommes organisés en vue d'obtenir un bien commun».

B) Preuve.

§1119). Si la fin dernière de l'homme a les caractères d'un bien commun, la loi naturelle qui oblige à réaliser cette fin oblige, par le fait, à vivre en société.

Or, tel est bien le cas, à deux points de vue principaux. D'abord, laissé à lui-même, l'enfant ne pourrait ni vivre physiquement, ni se développer moralement et intellectuellement pour réaliser sa destinée normale. De plus, cette destinée, répondant à la fois à l'infinie excellence de Dieu, digne de louange toujours plus grande, et à l'aptitude dont jouit notre raison et notre volonté de progresser toujours vers le mieux, doit se comprendre comme une culture portée au degré le meilleur possible. Or, il est certain que l'entraide réalisera un degré de perfection auquel chacun, pris individuellement, ne pourrait jamais parvenir: ainsi la civilisation, but assigné à la vie humaine par la Providence, a tous les caractères d'un bien commun.

L'homme est donc obligé, de par la loi naturelle, de vivre en société.

C) Corollaire.

§1120) Société libre et société nécessaire. Partout où se rencontre un bien commun peut se constituer légitimement une société. En nombre de cas, ce bien commun ne s'impose nullement, bien qu'il puisse être raisonnablement poursuivi: il fonde alors des sociétés libres; telles, les sociétés d'agrément, de sport, d'art, de musique ou d'étude.

Parfois le bien commun, sans être strictement nécessaire, résulte spontanément des relations entre hommes: tel est le but cherché par la société professionnelle, que nous appellerons avec «Quadragesimo anno», une société naturelle.

Enfin, deux sociétés sont requises par la loi naturelle, et à ce titre sont nécessaires: la famille et la société civile ou politique.

2. - La famille et le mariage.

Thèse 11. 1) La loi naturelle impose à l'humanité, mais comme une obligation générale seulement, l'institution du mariage source de la société domestique. 2) Elle en demande l'unité et la stabilité.

1. Obligation du mariage.

A) Explication.

§1121). On distingue l'obligation personnelle et l'obligation générale. La première porte sur un moyen nécessaire à chacun pour atteindre le but de la vie: ainsi l'obligation de la prière, du travail; chacun doit donc s'y soumettre. La seconde porte sur un moyen requis seulement par le bien commun, et chacun reste donc libre de l'employer; mais il est nécessaire que l'un ou l'autre le réalise: ainsi l'obligation du service militaire pour défendre la patrie.

L'obligation du mariage est de ce second genre: son but essentiel est, en effet, la propagation de l'espèce humaine: condition indispensable, certes, à la réalisation de l'idéal fixé à l'homme par le Créateur; pour proclamer toujours mieux la gloire de Dieu par la voix d'une civilisation toujours meilleure, il faut le concours des générations successives. Mais il suffit pour cela qu'un certain nombre de familles se fondent et prolifèrent.

Pour réaliser ce devoir, du reste, nulle contrainte n'est nécessaire, à cause du puissant instinct qui y porte les hommes, et du plaisir que la nature y a joint, comme elle l'a joint aussi à l'usage des aliments, nécessaires à la conservation des individus. Mais la loi naturelle impose à l'homme l'obligation de ne suivre ses instincts que conformément à la droite raison; et celle-ci, sans condamner la jouissance, la subordonne au but primordial de la propagation du genre humain. Enfin, elle découvre dans le mariage un autre aspect intermédiaire, plus noble que le plaisir, moins essentiel que la génération: c'est l'amitié et l'aide mutuelle. Le vir et la femme apparaissent, en effet, psychologiquement, physiologiquement, naturellement faits l'un pour l'autre, pour se compléter et se soutenir: s'ils se donnent l'un à l'autre dans le mariage, c'est non seulement pour avoir des enfants, mais aussi pour mettre en commun leurs ressources pour mieux réaliser le but de leur vie. D'où la définition du mariage où se marque nettement ce triple but, le premier essentiel, les deux autres secondaires: Le mariage est un contratle vir et la femme se donnent mutuellement droit sur leur propre corps en vue de procréer et d'éduqer des enfants, et s'unissent pour s'entraider dans la vie, et même pour trouver remède aux entraînements du plaisir.

B) Preuve.

§1122). Tout ce qui est nécessaire pour procurer la gloire de Dieu en favorisant la civilisation est imposé aux hommes par la loi naturelle.

Or la propagation du genre humain, avec les règles dictées par la droite raison à l'institution familiale, est la base même de toute civilisation.

Le mariage s'impose donc aux hommes, non à chacun en particulier, mais comme une obligation générale.

C) Corollaires.

§1123) 1. - Devoirs du mariage. 1) Le célibat, accepté pour une fin sociale ou personnelle plus noble: vie contemplative ou service du prochain, est donc lui aussi très légitime.

2) Mais la droite raison condamne comme un désordre moral tout plaisir charnel recherché pour lui-même, soit en dehors du mariage, soit même dans le mariage s'il est incompatible avec la fin primaire de celui-ci, qui est la procréation et l'éducation des enfants.

§1124) 2. - Société domestique et éducation des enfants. Puisque chacun n'est pas obligé d'accepter le mariage, celui-ci demande pour se réaliser un acte de volonté libre par lequel tel vir et telle femme acceptent les droits et devoirs de la vie conjugale: c'est le contrat de mariage [°1505]: et dès qu'il existe, il crée un groupement de deux personnes auquel s'applique pleinement la définition générale de la société, puisque les époux se proposent comme but un bien supérieur, fruit de leur coopération et de leur vie commune. Cette société embryonnaire doit normalement se développer par la procréation d'enfants plus ou moins nombreux, et par la constitution d'un patrimoine matériel et spirituel, apte à favoriser le progrès de la famille. Le chef, ayant l'autorité, le soin du bien commun est ici le père, généralement doué par la nature de la force physique, intellectuelle et morale que requiert ce rôle: il est, disait saint Thomas, le principe actif dans la société domestique. Mais si l'épouse doit obéissance au mari, elle lui reste égale comme personne humaine: ce qui doit les unir, c'est une amitié au sens le plus strict du mot, puisqu'ils se sont donnés mutuellement l'un à l'autre, en pleine liberté, pour mieux réaliser le but de leur vie.

Pour veiller au patrimoine familial, les époux peuvent faire appel à l'aide de serviteurs qui, dans certaines formes de civilisation surtout, sont agrégés à la société domestique par la durée et la fidélité de leur service.

Mais surtout, la loi naturelle confère aux parents le droit et le devoir d'éduquer leurs enfants. La droite raison, en effet, demande que la famille, pour fournir à l'humanité un renfort utile à la civilisation et à la gloire de Dieu, ne se contente pas de multiplier les individus sans discernement, mais soit une pépinière d'hommes cultivés, sains de corps et d'esprit, capables d'apporter leur part à l'effort commun vers le mieux. L'union matrimoniale a pour but d'engendrer les enfants physiquement, et de les former psychologiquement et moralement par l'instruction et l'éducation. L'amour spontané des parents, renforcé chez la mère par sa constitution physiologique elle-même, non seulement facilite et rend plus efficace le devoir de l'éducation, mais il en souligne le caractère naturel. Bref, les enfants sont confiés d'abord, non à l'État, mais à la famille, aux parents, un peu comme l'oeuvre d'art appartient à l'artiste, l'effet à la cause [°1506]. Et cette noble fonction d'éducation, en achevant celle de la génération, contribue à donner au mariage ses traits caractéristiques, marqués par la seconde partie.

2. Caractères du mariage.

A) Explication.

§1125). L'unité du mariage demande que le mari n'ait jamais qu'une seule femme: elle exclut la polygamie [°1507].

La stabilité du mariage exige que les deux conjoints persévèrent dans leur union, normalement jusqu'à la mort: la stabilité parfaite est ainsi l'indissolubilité; mais, bien que celle-ci soit dans le voeu de la nature, il est difficile d'en prouver par la pure raison la nécessité absolue. Nous devons nous contenter de marquer ici les exigences de la loi purement naturelle.

B) Preuve.

§1126). La loi naturelle exige que le contrat de mariage possède les qualités requises pour en assurer pleinement le triple but: la naissance des enfants, leur éducation et l'entraide des époux. Cela découle de la notion même de la loi naturelle, où la volonté de Dieu s'exprime par les orientations foncières de notre nature, interprétées par la droite raison.

Or le mariage ne peut atteindre ce triple but s'il n'a l'unité et la stabilité.

a) L'unité: sans doute la polygamie ne s'oppose pas (comme la polyandrie) à la fin primaire du mariage: elle a même pu être légitime aux temps anciens pour mieux assurer la propagation d'un peuple ou l'autorité d'un chef. Mais elle contredit la fin secondaire; elle brise l'équilibre des droits et des devoirs en défaveur de l'épouse, et ne permet plus entre elle et l'époux cette parfaite amitié que réclame de soi le contrat matrimonial: outre les dangers de division et de jalousie dans la société domestique. La dignité de la personne humaine, de plus en plus respectée chez la femme comme chez le vir, est un réel progrès de la civilisation moderne, qui rend impossible le retour à la polygamie.

b) La stabilité: elle est exigée surtout par le devoir d'éducation qui tient, nous l'avons prouvé, au but essentiel du mariage. L'union libre en ferait retomber tout le fardeau très injustement sur la mère [°1508], dispensant le père d'un devoir strict. Cette conception d'ailleurs sacrifie si clairement l'enfant au plaisir des conjoints que, d'ordinaire, la société la rejette. Mais on admet plus aisément le divorce, c'est-à-dire la séparation des époux, contrôlée par l'autorité et jugée légitime en certains cas seulement.

Il serait difficile, au seul point de vue de la raison, de démontrer que l'État, vu son rôle souverain dont nous allons parler, est totalement incompétent en cette matière. Mais il faut affirmer que la loi naturelle est en sens nettement opposé au divorce et tend à le restreindre le plus possible, parce que son extension nuit au bien commun et de la famille et de la société civile en général: elle est source, en effet, de nombreux désordres, elle crée au sein des familles disloquées des situations très défavorables à la bonne éducation des enfants comme à la formation d'un patrimoine prospère; elle incite à la stérilité volontaire et aux désordres moraux que celle-ci recèle; enfin, la seule perspective d'une séparation possible, surtout facile, mine la confiance mutuelle, ronge l'amitié essentielle à la société conjugale, et la séparation consommée la détruit, en laissant la femme, lorsqu'elle a perdu la fleur de sa jeunesse, très désavantagée pour se refaire un nouveau foyer.

Corollaire.

§1127). Ainsi donc, le mariage catholique de droit divin indissoluble, s'il n'est pas exigé par la loi naturelle, en réalise pleinement le voeu et ne fait que conduire son mouvement à son plein achèvement.

3. - La société civile ou politique.

Thèse 12. 1) La loi naturelle demande aux familles de constituer la société civile, qui est dans l'ordre humain la société souveraine, destinée à procurer aux hommes la préparation immédiate la meilleure au but dernier de la vie. 2) Pour réaliser ce rôle, elle a un double office: celui de protection et coordination; celui d'initiative et de suppléance positive.

A) Explication.

§1128). On distingue la société imparfaite ou subordonnée, et la société parfaite [°1508.1] ou souveraine. La première est celle qui poursuit un bien commun dans un ordre restreint: comme celui d'une société de musique, ou de commerce, en sorte qu'elle est naturellement ordonnée à une société supérieure, comme la partie au tout. La seconde est celle qui poursuit comme bien commun le but suprême de la vie, en sorte qu'elle n'est plus soumise à la direction d'aucune autre.

En se mettant au point de vue purement naturel, on appelle société civile ou politique, la société souveraine [°1509] destinée à procurer aux hommes la préparation la meilleure au but dernier de leur vie; et celui-ci, selon les explications déjà données, s'identifie avec la culture ou civilisation où s'harmonisent les divers ordres de biens: économique, moral, scientifique, artistique, religieux enfin, nécessaires pour procurer la gloire de Dieu et le bonheur des hommes.

Nous avons déjà montré [§1119, sq.] que ce but de la vie a tous les caractères d'un bien commun; demandant pour être conquis l'entraide sociale. Et puisqu'il s'agit ici du but suprême ou de la fin dernière de l'homme, la société qui le procure est évidemment suprême ou souveraine: aussi l'appelle-t-on parfois, par antonomase, la société. Mais ce terme pris en général, avec la définition précise établie plus haut [§1118], désigne aussi beaucoup d'autres groupements [°1510]. C'est pourquoi, pour éviter toute équivoque, nous appellerons la société naturelle souveraine: société civile ou politique (la cité des anciens, «civitas» en latin, «πόλις» en grec).

B) Preuve.

§1129) 1. - Société nécessaire. Si le degré de perfection ou de civilisation que doit raisonnablement ambitionner l'humanité ne peut être obtenu par l'effort des familles prises indépendamment, la loi naturelle impose à celles-ci l'obligation de s'associer pour réaliser ce bien commun meilleur.

Or, les ressources de l'association familiale sont manifestement trop limitées pour réaliser tout l'idéal accessible à la raison; ainsi, dans l'ordre économique, la division du travail avec les spécialisations des familles en métiers divers obtient des résultats incomparablement meilleurs; dans l'ordre scientifique, l'entraide des familles multiplie les chances de découvertes et les moyens de progrès; et la vie en commun dans un même pays pose des problèmes de civilisation ou de bon voisinage où l'intervention d'arbitres s'imposant à tous, établira un état de concorde évidemment préférable aux «vendettas» entre familles, sans compter la nécessité de garantir contre d'éventuels agresseurs le patrimoine ainsi conquis en commun.

Les familles ne sont donc que des sociétés imparfaites, ordonnées par la loi naturelle à s'associer dans une société parfaite, en vue d'atteindre une culture plus élevée.

§1130) 2. - Offices de la société civile. La société civile doit, selon sa définition, procurer aux citoyens les moyens les meilleurs pour réaliser leur destinée, en améliorant leur culture. Or, la première condition pour que chacun réalise sa destinée est qu'il puisse déployer toutes les richesses de sa personnalité, en jouissant de ses droits comme en accomplissant ses devoirs, dans les conditions les plus favorables, c'est-à-dire non seulement à titre individuel, mais aussi par l'entraide des associations particulières: cela suppose avant tout la prospérité de l'institution familiale, dont nous avons montré la nécessité naturelle, mais aussi la possibilité d'autres associations, économiques, professionnelles, artistiques, récréatives, religieuses, etc. dont les «biens communs» plus limités enrichissent incontestablement le bien commun général de la société civile. D'où le premier rôle de celle-ci: rôle de coordination et de protection; qui consiste à reconnaître les droits de chacun, garantir leur exercice, éviter ou corriger leurs frictions, les coordonner et les subordonner au bien commun de tous.

Mais en dehors de ce rôle plutôt négatif, quoique déjà précieux, la société civile, pour réaliser pleinement son but, doit aussi intervenir positivement en deux domaines principaux: celui des initiatives publiques, et celui des suppléances. Certains progrès, en effet, dépassent les possibilités de l'initiative privée et même des associations particulières, familiales ou autres: telles les organisations des grandes voies de transport, services postaux, grands hôpitaux ou instituts scientifiques trop coûteux, et surtout les institutions proprement politiques: tribunaux, services d'ordre, gendarmerie, armée, etc. C'est le domaine de l'initiative publique.

D'autres fois, il s'agit de biens accessibles en eux-mêmes aux efforts des citoyens, mais où se constatent de graves déficiences. Ainsi pour l'hygiène où la société distribuera des remèdes préventifs, comme la vaccination, ou curatifs, comme les hôpitaux publics, etc., et surtout l'instruction des enfants, que la famille, première responsable, n'est pas toujours capable de mener à bonne fin: tel est le domaine de la suppléance, où l'intervention de la société est très légitime, à condition de respecter les droits de la personne humaine.

C) Corollaires.

§1131) 1. - Deux excès. Les socialistes et les communistes demandent tout à la société civile; c'est la théorie de «l'État-Providence». Les libéraux ne lui demandent rien que la sauvegarde de leurs droits: théorie de «l'État-Gendarme». La théorie vraie est un heureux équilibre entre ces deux excès.

§1132) 2. - Les trois pouvoirs de la société: législatif, exécutif et judiciaire. C'est à l'autorité, pièce essentielle de toute société que revient le droit de réaliser cet idéal complexe. Pour l'accomplir sagement, selon la direction prudente de la raison, elle devra d'abord édicter des règles ou lois, pour imprimer au groupement de familles et de citoyens une direction concordante, vers le bien commun: c'est le premier pouvoir, dit législatif, où la raison du chef, participant à l'autorité de la divine Providence elle-même, peut déterminer dans les cas particuliers les moyens désormais nécessaires à chacun pour atteindre sa fin en fonction du bien commun. Noble mission où l'homme, au nom de Dieu, promulgue des lois positives obligatoires en conscience.

Mais la loi est de sa nature générale, tandis que le bien commun est dans la conduite concrète de chacun: l'autorité a donc aussi le droit d'exiger l'exécution des lois, d'imposer les modalités pratiques par le moyen d'organes administratifs convenables: c'est le pouvoir exécutif ou gouvernement.

Enfin, il faut prévoir les résistances et les infractions dues à l'égoïsme et à la faiblesse humaine: le code pénal n'est pas seulement un préservatif; il doit aussi être appliqué pour rétablir la justice et amender les coupables: pour cela l'autorité doit disposer du pouvoir judiciaire.

Ces trois pouvoirs peuvent être concentrés dans un même organe, ou distribués à des personnes indépendantes, selon les diverses formes de sociétés.

Thèse 13. 1) La forme définitive de l'État est le fruit d'un contrat, explicitement ou implicitement consenti, mais, de par la loi naturelle, obligatoire et permanent. 2) Ainsi, l'autorité suprême appartient en principe au peuple, mais avec le devoir de la déléguer à un organe apte à l'exercer pleinement.

A) Explication.

§1133). 1. - On emploie communément au sujet de la société civile divers vocables qu'il est bon de préciser.

1) L'État est la société civile politiquement organisée selon une forme définie; ou en un sens plus restreint, «l'organe préposé au gouvernement de cette société: l'ensemble des services généraux d'une nation» [°1511].

2) La nation désigne proprement l'ensemble des citoyens et des familles formant une société civile déterminée, apte à constituer un État: c'est la meilleure traduction du latin «populus».

3) Peuple est plus équivoque: il a souvent le même sens que «nation» en gardant la force du latin «populus»; mais il désigne aussi la partie la plus nombreuse et la plus pauvre de la nation, ou l'ensemble des familles ouvrières, surtout prolétaires, par opposition aux bourgeois, aux nobles, ou à l'aristocratie de la richesse. Parfois aussi, comme dans l'expression: «le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes» [°1512], il désigne la nationalité.

4) Nationalité traduit ici, le terme latin «natio», et désigne ce que la biologie appelle une race, en mettant l'accent sur l'hérédité (nasci, natio). Cependant, les sociologues estiment qu'il n'y a plus, en fait, de races humaines caractérisées; mais, au point de vue politique, il existe des groupements qui s'en rapprochent et que nous appellerons groupements ethniques, et que nous définirons: un ensemble de familles rassemblées naturellement par une certaine communauté d'origine, de caractères physiologiques généraux, et aussi de langue, de coutumes, de traits psychologiques semblables, dus à la fois à l'hérédité et à la vie en commun dans un même milieu [°1513].

5) La Patrie est proprement le lieu où une nation décide de se constituer en État; c'est la terre des aïeux, «vaderland». Par extension, c'est l'ensemble des richesses du Patrimoine national, avec le groupe d'hommes passés et présents qui en furent et qui en restent les dépositaires [Cf. sur le patriotisme, §1359].

6) Enfin, la communauté désigne un groupement naturel d'hommes, apte à recevoir l'organisation sociale proprement dite: terme plus large et plus générique; parallèle à celui de société: c'est proprement le sujet immédiat de la forme sociale, comme le peuple est le sujet immédiat de la forme politique ou société civile [§1328].

§1134). 2. Historiquement, des influences précises et très variées, les unes légitimes, les autres blâmables ou arbitraires, ont créé les divers États. Il s'agit de déterminer ici, à la lumière de la loi naturelle, le principe général qui légitime la création de ces «sociétés parfaites», et qui en règle, au point de vue moral, les variations ultérieures. Nous disons que c'est un contrat, c'est-à-dire un acte de volonté libre, ayant pour objet la transmission de certains droits [§1116]. Les partenaires de ce contrat sont les membres de l'État, avant tout, les pères de familles; car la famille est l'institution fondamentale, indispensable à toute vie civile. L'objet de ce contrat, comme en toute société, est constitué par des droits de service et d'aide en vue du bien commun, que l'on se transmet mutuellement; mais cette transmission, dit la thèse, est réglée par la loi naturelle, en sorte que l'aspect contractuel peut rester implicite.

B) Preuve.

§1135) 1. - Contrat social. Ce que la loi naturelle demande aux hommes, comme but à réaliser par aide mutuelle, en laissant à leur libre choix les moyens les plus aptes, est l'objet d'un contrat obligatoire de droit naturel, et de sa nature permanent tant que l'association consentie réalise le but imposé [°1514].

Or la loi naturelle demande aux familles de se grouper en société civile, mais elle ne fixe aucune modalité quant au nombre des citoyens à réunir, ni quant aux formes spéciales de l'État à former. Il est clair, en effet, que de multiples façons de s'associer peuvent être conçues avec prudence, aptes chacune à divers degrés à favoriser le progrès de la culture. Dans les choses pratiques, le meilleur qui est l'idéal cherché, résulte des circonstances de lieu, de personnes, et de temps auxquelles il s'agit de s'adapter pour réussir.

Donc, les déterminations quant au nombre des citoyens et à la forme de l'État relèvent d'un consentement mutuel qui est un réel contrat, par lequel sont établis les droits et devoirs mutuels pour le bien commun.

Ce consentement est parfois donné explicitement, par exemple dans une assemblée d'hommes libres ou de pères de familles qui décident de se grouper en société civile. Il peut aussi rester implicite, et résulte de l'évolution naturelle, par exemple dans la famille patriarcale qui, en se multipliant, finit par devenir une tribu et un peuple où les règles coutumières se transforment spontanément en lois sociales et politiques.

D'autre part, le bien commun de la société est de sa nature permanent; seul le concours de nombreuses générations réalise une civilisation digne de la raison humaine et de la gloire de Dieu. Le contrat social une fois consenti oblige donc les nouveaux citoyens d'une façon permanente, tant que la collaboration favorise le bien commun: la fidélité au pacte d'entraide est un devoir de droit naturel.

§1136) Souveraineté du peuple. Celui qui, légitimement, prescrit les mesures utiles au bien commun possède l'autorité dans la société civile.

Or le peuple ou l'ensemble des citoyens éventuels d'un État possède le droit (comme l'établit la première partie) de déterminer les conditions fondamentales de la constitution d'un État: choix de la patrie, du nombre d'associés, de la forme de gouvernement, etc. En cela, le peuple a donc bien l'autorité suprême et est libre de se la réserver, par un droit de referendum, par exemple.

Mais il est clair que pour réaliser les tâches multiples et complexes qui relèvent de l'État l'assemblée générale des citoyens serait impuissante: le peuple doit donc, selon les prescriptions de la droite raison, interprète de la loi naturelle, déléguer l'autorité suprême à un organe apte à l'exercer convenablement pour le bien commun.

C) Corollaires.

§1137) 1. - Principe de nationalité et droit de révolution. Il est faux que chaque groupement ethnique, au sens défini plus haut, ait le droit strict de se constituer en État souverain: en ce sens, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes [°1515] n'existe pas. Rien, en effet, dans la loi naturelle ne prescrit de s'en tenir aux membres d'une même race ou nationalité pour se grouper en société civile: le bien commun à poursuivre par son aspect moral et religieux, et aussi économique, n'est pas lié à la race. Certes, la culture ethnique, avec ses richesses de littérature et d'art, comme les autres affinités nationales, peuvent contribuer à la prospérité de l'État. Mais tant que le groupement politique de plusieurs communautés ethniques (plusieurs nationalités) sauvegarde pour chaque partie ses richesses propres, de façon à en faire profiter le bien commun de tous, il se fonde sur un contrat social très légitime que tous les partenaires sont obligés de respecter: Le grand principe est donc ici celui du bien commun [°1516].

Ce même principe permet d'apprécier la légitimité d'une révolution, c'est-à-dire d'un mouvement insurrectionnel à main armée, entrepris d'un commun accord par le peuple ou une partie du peuple, pour se séparer et constituer un nouvel État, ou pour changer la forme de l'État. Puisque le peuple possède d'abord l'autorité qu'il délègue à ses chefs, lorsque ceux-ci ne l'exercent plus pour le bien commun, le peuple peut légitimement le reprendre, et même en employant la force, selon le droit de coercition qui accompagne tout droit légitime. Mais à condition d'observer, toutes proportions gardées, les limites du droit de légitime défense [§1104]. Entre autres, l'entreprise ne doit pas être le fait d'une ambition personnelle; mais d'un commun accord; le bien commun lésé doit être de grande importance, et les maux inévitables d'une révolte ne doivent pas être plus grands que le bien espéré. Tel fut le cas, par exemple, dans le soulèvement de la Vendée contre la tyrannie des Révolutionnaires. Ces conditions semblent bien rarement réunies, et il faudra toujours préférer la méthode pacifique, comme celle d'un référendum, si elle est possible.

§1138) 2. - Contrat social. Celui que Rousseau [PHDP, §453] défend comme base de la république diffère radicalement de celui qu'établit notre thèse, en deux points principaux:

a) le peuple seul est déclaré souverain, indépendant de Dieu, tandis que nous l'établissons interprète de la loi naturelle où s'inscrit l'ordre de la Providence;

b) la république rousseauïste n'admet aucun intermédiaire entre l'État et les individus qui seuls, dans leur liberté absolue, se lient pas le pacte social; pour nous, au contraire, ce sont les familles qui s'associent, et un État doit respecter le droit d'association sous toutes ses formes, que possède le citoyen.

§1139) 3. - Église et État. Au point de vue de la pure philosophie, le bien commun poursuivi par l'État doit être la disposition immédiate à la seule destinée légitime de l'homme qui est la gloire de Dieu, pleinement proclamée par l'amour et la contemplation dans l'autre vie: si son but immédiat est temporel, il a donc un complément éternel; et la meilleure part de ce bien commun est d'ordre religieux et moral. La société civile, sur ce plan naturel, devrait donc avoir une religion, et non seulement en garantir la pratique personnelle au citoyen, mais rendre à Dieu un culte public et social.

Mais le fait de la Révélation a modifié ces conclusions. Désormais, par la volonté explicite de Dieu, apportée sur terre par le Christ, c'est une société religieuse spéciale visible: l'Église catholique, qui est chargée de préparer les hommes à leur destinée éternelle, parce que celle-ci est surnaturelle. L'Église est donc elle aussi une société parfaite et souveraine, et elle se réserve dans le domaine de la culture, tout ce qui regarde l'ordre moral et religieux, y compris l'éducation et l'instruction, du moins pour tout ce qui touche à la vérité religieuse et à la loi morale [°1517].

Incontestablement, ce fait nouveau découronnera la société civile en confiant à un autre la part la plus noble de son idéal. Mais ce fait nouveau ne dépouille pas la société civile de sa souveraineté. L'Église et l'État sont des sociétés parfaites, chacune en leur genre. À la première revient dans le bien commun de l'humanité, tout ce qui est divin, sacré, surnaturel: la vie morale et religieuse, qui est la vie éternelle commencée dès ici-bas par la grâce. À la seconde revient tout ce qui est temporel, profane, naturel, technique ou scientifique: la vie culturelle purement humaine, artistique et littéraire, et la vie politique dont toute la perfection se réalise ici-bas.

Mais les membres des deux sociétés sont les mêmes; et il y aura donc, outre les domaines propres et indépendants, de nombreuses questions mixtes où l'entente sera nécessaire. Puisque toute société se définit par sa fin et que la fin de l'Église est supérieure à celle de l'État, c'est normalement ce dernier qui doit se soumettre et offrir ses services à la société spirituelle pour l'aider à réaliser son but, qui est au fond le même que son propre but: l'épanouissement plénier de la personne humaine. Par cette subordination spontanée, qui respecte pleinement sa souveraineté temporelle, l'État, loin de se diminuer, trouvera au contraire lui-même un puissant secours pour réaliser plus parfaitement son propre idéal [°1518].

4. - Le droit international.

Thèse 14. 1) La loi naturelle impose aux diverses nations de l'univers un devoir de respect mutuel et d'entraide, qui constitue un droit international naturel. 2) Sur celui-ci se fonde légitimement un droit international positif, exprimé par les traités ou conventions. 3) La guerre ne sera juste et légitime qu'en respectant et défendant ce double droit.

A) Explication.

§1140). Plusieurs penseurs modernes, en particulier ceux de l'école positiviste, donnent à la souveraineté de l'État un caractère absolu: «ils ne reconnaissent d'autre limitation à son autonomie que celle qu'il consent lui-même à s'imposer: l'État se créerait à soi-même, au gré de ses intérêts, sa norme de justice et d'honnêteté» [°1519].

Notre thèse s'oppose directement à cette erreur, car si l'autorité civile est bien la plus haute qui soit sur terre, en sorte qu'on puisse la proclamer souveraine dans son ordre, elle reste pourtant l'apanage d'une créature: «Composées d'êtres humains; gouvernées par des volontés libres, les sociétés, véritables personnes morales, sont autant que les personnes physiques, subordonnées à la loi morale qui gouverne souverainement toutes les volontés humaines» [°1520].

Cette loi divine est le fondement d'un droit international, naturel et positif, qui règle les relations des États entre eux, soit dans l'ordre de la justice commutative par le respect mutuel de leurs droits, soit aussi dans un ordre social plus élevé, où les peuples doivent s'entraider dans la communauté humaine, comme les citoyens dans la communauté nationale. Mais ici, il s'agit seulement d'établir l'existence de ce droit international d'une façon générale, en réservant pour la Morale spéciale les précisions sur l'étendue des obligations qu'il impose et sur la manière d'y répondre.

D'autre part, tant qu'il n'existe aucune autorité humaine au-dessus des États, ceux-ci sont amenés parfois, pour résoudre leurs différends ou défendre leur droit, à user de la guerre. La guerre se définit: «l'emploi de la violence ou de la force physique organisée, par l'autorité souveraine d'une société civile, pour imposer sa volonté à d'autres autorités souveraines». Ici encore, nous nous contenterons de poser le principe de la légitimité de la guerre, en réservant pour la Morale spéciale les multiples précisions que ce principe appelle.

B) Preuve.

§1141) 1. - Droit naturel international. Si les diverses nations de l'univers peuvent obtenir en se respectant et en s'entraidant, un degré supérieur de civilisation, c'est-à-dire un moyen meilleur de procurer la gloire de Dieu, la loi naturelle leur en fait un devoir qu'il faut appeler «droit international naturel».

Or, d'une part, le respect mutuel est évidemment la première condition pour que chaque peuple réalise sa mission en développant les ressources qui lui sont propres. D'autre part, l'utilité, voire la nécessité d'une coopération de tous en faveur de la culture de l'humanité, s'affirme de plus en plus dans les divers domaines de la civilisation. Par exemple, dans l'ordre économique où les richesses passent couramment d'un continent à l'autre par le commerce international; dans l'ordre scientifique, où les grandes découvertes ont été le fruit des efforts conjugués dès savants de tous pays; dans l'ordre financier où les opérations de bourse se réalisent souvent sur le plan mondial; dans l'ordre culturel aussi, où les facilités modernes des communications et surtout l'extension de la T.S.F. [°1520.1] tendent à réaliser une opinion publique universelle et un standard de vie à l'échelle humaine. D'où la multiplication spontanée des organisations, expositions ou concours et congrès internationaux, d'où ressort clairement l'existence d'un bien commun mondial, proposé à l'humanité entière.

Puisque la loi naturelle impose à toutes les nations l'obligation de s'entraider en vue de réaliser ce bien commun mondial [L'étendue de cette obligation sera précisée au §1384], il y a un droit international naturel.

§1142) 2. - Droit positif international. Dans l'organisation d'une société, là où la loi naturelle laisse aux membres le libre choix des moyens les meilleurs pour atteindre le bien commun, l'autorité a normalement le droit d'édicter des lois positives, pour déterminer opportunément ces moyens.

Or, telle est la situation internationale: le bien commun de l'humanité qu'il s'agit de réaliser est un terme auquel mènent plusieurs chemins non fixés par la nature: la paix du monde, par exemple, la prospérité commerciale et économique, le progrès culturel, etc., peuvent être obtenus par divers moyens.

D'autre part, il n'existe pas une société internationale politiquement organisée: les divers États du monde ressemblent au groupe de citoyens et de familles rassemblés en vue de déterminer la constitution fondamentale de leur futur État; ainsi, l'autorité suprême réside dans le «peuple»; dans l'assemblée des chefs d'État, chargée par la loi naturelle de promouvoir le bien commun de l'humanité.

Donc les conventions ou traités élaborés dans ces assemblées internationales, dans la mesure cependant où ils interprètent selon la droite raison l'aspiration de la famille des peuples humains vers une plus haute civilisation, constituent un véritable droit positif, obligatoire en conscience.

§1143) 3. - Droit de guerre. La coercition n'est légitime que dans la mesure où elle est au service du droit [§1104].

Or la guerre est l'exercice de la coercition par l'autorité suprême d'un État à l'égard des autres. La guerre ne peut donc être juste que dans la mesure où elle est au service et du droit naturel et du droit positif international.

C) Corollaires.

§1144) 1. - Société des nations et isolationnisme. Si une Société proprement dite des Nations n'existe pas, elle est bien dans le voeu de la nature, comme terme de l'évolution due aux progrès des relations internationales: l'isolationnisme absolu d'un État, ou même d'un continent (doctrine de Monroe) contredit le devoir d'entraide universelle dicté par la loi naturelle. Il peut donc arriver un moment où chaque État devra accepter la limitation de sa propre souveraineté, en faveur d'un organisme supérieur chargé, du consentement de tous, de veiller au bien commun de l'humanité. Si un tel organisme s'imposait par la force, il pourrait devenir légitime en se mettant pleinement au service du droit comme devint légitime la sage tutelle de l'Empire romain. Mais il est bien plus conforme à la droite raison de le réaliser par entente mutuelle et pacifique, comme y travaille l'ONU, après la S.D.N. [°1521].

§1145) 2. - Guerre juste et conscience. La morale ne permet de participer à une guerre, que si elle est juste, et la noblesse de la personne humaine et de son but suprême, qui est la gloire de Dieu à obtenir par le vrai, le juste et le bien, demande que le juge en dernier ressort de la légitimité d'un acte soit la conscience [°1522]. En pratique, cependant, il est bien difficile à un sujet soumis et patriote de voir avec évidence l'injustice de la guerre décidée par ses chefs responsables; et dans le doute, il est toujours licite et meilleur d'obéir. Aussi les soldats sont souvent, dans les deux camps également, de bonne foi et en règle avec leur conscience.

Rien de plus noble que le dévouement à la patrie dans une guerre juste: c'est un acte de vertu héroïque où l'on sacrifie tout ce qui est possible pour sauvegarder le bien commun de ses concitoyens.

Mais la guerre moderne, avec les terribles moyens de destruction inventés par la science, et la participation de tout le peuple, pose des problèmes complexes qui peuvent faire douter de sa légitimité, si elle n'est pas défensive [§1367, sq.].

[précédente] [suivante]

| Accueil >> Varia >> Livres >> Précis de philosophie