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Physique (§365 à §378)

Article 2. Nature des substances minérales.

b29) Bibliographie spéciale (Nature des substances minérales)

§365). Dans notre effort pour préciser notre idée d'être, par laquelle dès le début nous connaissons tout sans exception, mais d'une façon très générale, et donc très imprécise et incomplète, nous avons jusqu'ici établi trois définitions génériques qui serrent de plus en plus près la réalité des êtres qui nous entourent et sont objet de nos expériences [°457]:

1. Tout être fini et changeant (ou, en langage chrétien, toute créature) est un être dont l'essence est réellement distincte de son existence [§204].

2. Toute essence réelle et agissante (dans le monde physique) est une substance qui existe en soi et par soi et qui est sujet d'accidents inhérents en elle [§209].

3. Toute substance corporelle, c'est-à-dire douée de propriétés quantitatives et qualitatives, est une substance intrinsèquement composée de matière première et de forme substantielle [§356].

Nous avons ainsi déterminé les dernières raisons d'être intrinsèques ou les causes profondes de ces réalités physiques; mais nous n'avons encore qu'une définition très générique. Au point de vue même de la classification logique des êtres en dix prédicaments, la substance corporelle constitue le genre suprême, parce que la notion ou définition qui l'exprime est univoque pour tous les corps, c'est-à-dire pour tous ses inférieurs sans exception; tandis que les deux autres notions, de substance en général et d'essence, comme celle d'être, sont applicables analogiquement à des inférieurs de perfection radicalement différente [§163, et Logique §82 et §85] comme Dieu et notre univers. Une connaissance scientifique parfaite demande évidemment de poursuivre l'effort de précision pour aboutir autant que possible à définir toutes les espèces contenues en ce genre. Les chapitres suivants établissent ainsi selon la méthode de la science, la distinction spécifique qui sépare les vivants des minéraux; puis celle des trois degrés de vie, les plantes, les animaux, l'homme.

Le règne minéral pris dans sa généralité est suffisamment connu par ce qui précède et peut se définir, «l'ordre des substances douées d'extension et d'énergies purement physiques», c'est-à-dire sources d'activités uniquement transitives, dont le terme est dans une substance distincte de l'agent. Mais on demande si tous les minéraux forment une seule ou plusieurs espèces? Et, bien que la classification poussée jusqu'aux espèces infimes relève des sciences particulières expérimentales, il appartient à la Philosophie naturelle de donner une réponse de droit, en indiquant les critères de distinction. La réponse affirmative à ce premier problème entraîne évidemment, à l'intérieur même du règne minéral, l'existence de changements substantiels, dont il faudra indiquer les particularités. D'où les deux paragraphes:

1. - La pluralité des espèces minérales.
2. - Le changement substantiel dans le règne minéral.

1. - La pluralité des espèces minérales

Thèse 27. Il existe une multiplicité spécifique de corps minéraux dont le critère de distinction est constitué par le groupe stable et irréductible de leurs propriétés.

A) Explication.

§366). En nous mettant au point de vue philosophique, nous définirons l'espèce dont nous parlons: «le degré de perfection substantielle qui constitue l'essence complète d'un corps minéral». Cette perfection se détermine évidemment suivant le principe «Telles propriétés, tel être» («Agere sequitur esse»). Mais il y a une double difficulté à l'application de ce principe au règne minéral.

D'abord, il est nécessaire de se référer aux propriétés plus spéciales, étudiées et classées par les sciences positives modernes, surtout en chimie et aussi en physique. Mais ces sciences, nous l'avons vu, en décrivant les phénomènes ou propriétés physiques, se mettent toujours au point de vue quantitatif; et par là, elles ont tendance à laisser de côté l'aspect le plus important pour la solution de notre problème: l'aspect qualitatif proprement dit. Il est donc nécessaire, sans revenir à l'expérience vulgaire, manifestement insuffisante ici, de retrouver dans le phénomène technique scientifique, le phénomène de bon sens [§336] qui y est contenu. À ce point de vue les observations de la chimie seront plus utilisables que celles, plus élaborées, des dernières recherches atomiques. Celles-ci en arrivent à faire abstraction presque complètement des sujets agissants pour ne considérer dans leurs lois que les énergies elles-mêmes représentées par leurs mesures [§344-346]. Aussi le sens philosophique de leurs découvertes est-il souvent difficile à préciser, et il pose ainsi un problème qu'il faut résoudre avant d'utiliser leurs renseignements. D'ailleurs ces nouveaux faits ne détruisent ni ne contredisent les anciens signalés par la chimie; et cette science a pour nous l'avantage de conserver encore la notion de sujet agissant comme base de ses lois. Remettant à plus loin l'examen de ces faits nouveaux, pour les harmoniser à nos conclusions [§372 et §377], nous fonderons notre induction principalement sur les phénomènes chimiques dûment interprétés.

Mais, d'autre part, il ne semble pas qu'il existe parmi les minéraux une différence de degré dans la perfection substantielle. Puisque le principe d'imperfection est constitué par la matière première et la quantité qui s'y rattache, il faut chercher le critère d'un degré plus haut de perfection dans une opération ou propriété qualitative plus indépendante des conditions matérielles et quantitatives. Or, toutes les propriétés minérales, les structures évidemment, mais aussi toutes les énergies physiques sont pleinement dépendantes des conditions matérielles et quantitatives, comme le montre leur égale soumission à la mesure. D'ailleurs, les mêmes énergies, mécaniques, caloriques, lumineuses, électriques, magnétiques, etc., se retrouvent semblablement dans tous les corps; comme aussi les trois états fondamentaux, solide, liquide, gazeux. Il n'est donc pas possible d'établir un critère de distinction spécifique, ni par la possession exclusive de certaines énergies, comme faisaient les anciens [°458], ou d'un des trois états fondamentaux, ni par une différence de degré de perfection.

Mais on constate en chimie des lois constitutives [§113] des différents corps qui fournissent une base solide d'induction. Nous nous arrêtons donc à égale distance des faits d'expérience vulgaire et des dernières hypothèses prônant l'unité de la matière. Selon les premiers, les anciens considéraient, par exemple, l'air, comme un élément un par soi, alors qu'il est un simple mélange de gaz spécifiquement distincts, surtout oxygène et azote. Selon les seconds, il faudrait assimiler l'union des éléments qui constituent les corps chimiques à un mélange un peu plus intime et cohérent; mais seuls ces derniers éléments auraient leur nature substantielle spécifiquement distincte; et finalement on arriverait à un seul corps, l'hydrogène dont les particules en se combinant et se mélangeant les unes aux autres suivant certaines lois, donneraient tous les autres corps [§347]. Cette dernière hypothèse d'ailleurs concernant l'origine des diverses substances chimiques n'est pas nécessairement fausse et ne s'oppose pas à notre thèse. Mais nous disons que ces lois constitutives qui caractérisent les corps ainsi formés démontrent l'existence de plusieurs espèces distinctes. Et la preuve vaut, semble-t-il pour l'ensemble des corps chimiquement purs, soit simples, soit composés. Il peut cependant y avoir des cas douteux. Il nous suffit d'établir le principe à partir de faits évidents, en laissant les précisions aux sciences particulières.

B) Preuve d'induction.

§367). a) FAITS. 1. La description d'une espèce chimique commence d'ordinaire par quelques propriétés d'expérience vulgaire. Par exemple, l'hydrogène est un gaz incolore, inodore et sans saveur. Le chlore est un gaz jaune, verdâtre, d'une odeur suffocante; respiré, il provoque des crachements de sang. Ce sont là des approximations insuffisantes. Les faits scientifiques révèlent en chaque corps des propriétés précises réparties en trois séries.

1re série: faits d'ordre quantitatif. L'emploi constant des mesures, en science moderne, pour décrire les phénomènes (physiques ou chimiques) révèle en chaque corps de nombreux aspects quantitatifs qui lui sont propres. Mais il est remarquable qu'aucune de ces mesures ne concerne la quantité (extension ou volume) prise à part, mais elles l'unissent toujours soit à la figure, soit à l'une ou l'autre énergie. Le phénomène qui se rapproche le plus de cette pure quantité est celui de la masse que nous avons décrite plus haut [§325] comme la traduction sous forme d'inertie à vaincre par l'action externe, de l'aspect passif de la quantité ou du volume réel de chaque corps; car elle est toujours proportionnelle au volume. Par comparaison, elle donne la propriété caractéristique de chaque corps appelée poids spécifique, en fonction du poids d'un décimètre cube d'eau; - ou poids atomique, en fonction de l'atome gramme d'H, ou plus exactement de 1/16 d'O. Par exemple, le poids atomique du carbone est 12; celui de l'argent 108, celui du plomb 207.

2e série: faits de structures. Les minéraux en général sont indifférents à revêtir n'importe quelle figure. Pourtant, lorsqu'ils passent en certaines circonstances de l'état liquide à l'état solide, ils forment des cristaux et prennent ainsi spontanément des figures géométriques propres à chaque espèce de corps; ainsi, l'alun cristallise en cube, le quartz en hexagone, etc. Il faut pourtant noter que, pour certains corps appelés amorphes, par exemple, les résines, on n'a pas observé ce fait; et d'autres sont polymorphes, par exemple, le soufre: on peut, en changeant les conditions, le cristalliser en divers systèmes.

3e série: faits d'énergies propres. Ce sont les plus nombreux, car toutes les formes d'énergies répandues en général dans le règne minéral, non seulement revêtent en chaque corps des aspects caractéristiques, mais leur interaction suit des règles commandées par les corps en présence.

a) La chaleur est reçue en chaque corps d'une façon propre, désignée par la chaleur spécifique indiquant le nombre de calories requises pour élever d'un degré la température d'un gramme du corps. Par exemple, la chaleur spécifique de l'eau étant 1, celle du fer est de 0.114, celle du cuivre, 0.095 et celle de l'hydrogène, 3.41. Comme le changement d'état dépend de la pression et de la chaleur, il y a pour chaque corps à une pression donnée une chaleur déterminée où le changement s'opère: c'est le point de fusion, de solidification ou d'évaporation; par exemple, l'eau se solidifie à 0 degrés Celcius et bout à 100 degrés; le mercure se solidifie à -39.5 degrés et bout à 357 degrés; le sodium fond à 95 degrés et l'argent vers 1000 degrés; l'azote liquéfié entre en ébullition à -195.8 et l'oxygène à -183 degrés; c'est pourquoi, à l'état naturel, certains corps sont normalement solides, d'autres liquides, d'autres gazeux.

b) La lumière en tant qu'elle est émise par divers corps incandescents donne lieu en traversant un prisme, au phénomène des raies spectrales qui désignent les corps avec beaucoup de précision; par exemple, l'hydrogène brûlant émet des longueurs d'ondes lumineuses de 6563.04 angström [°459] (rouge), 4861.49 (bleu); 4340.66 et 4101.90 (violet), etc. - L'émission de rayons X par chaque corps donne également lieu à des raies spectrales caractéristiques.

c) L'énergie électrique dépend, pour être négative ou positive, de la nature de certains corps; et surtout chaque corps, tout en étant apte à la recevoir, lui oppose une résistance propre, exactement mesurable en ohms [§331]; ainsi la résistance spécifique électrique de l'argent est de 0.018; celle du cuivre, 0.020; celle du plomb, 0.220; mais celle du charbon, 700 et celle d'une solution saturée de sel marin, 64000 ohms.

d) L'énergie chimique se manifeste précisément par des affinités électives ou aptitudes de chaque corps à s'unir à certains autres suivant des lois fixes, et inaptitude à s'unir avec d'autres. Dans chacune des réactions qui sont le plus souvent exothermiques [°460], il y a une fixité remarquable dans la quantité de chaleur émise propre à chacune, comme dans la proportion requise en quantité et en volume pour les corps réagissants. Par exemple, dans la réaction Cl + H = HCl, 35.5 grammes de chlore se combinent avec un gramme d'hydrogène en émettant toujours 22 calories; et dans la réaction C + O2 = CO2, 12 grammes de carbone se combinent avec 32 grammes d'oxygène en émettant 94.3 calories.

2. Trois choses principalement doivent être notées en tous ces faits:

a) Un certain groupement empirique de corps appelé «espèce» au sens expérimental est immédiatement évident. Certaines particules matérielles ont entre elles des ressemblances parfaites à tous les points de vue signalés; par exemple, tous les fragments de cuivre, toutes les gouttes d'eau, toutes les effluves d'oxygène; et ces groupements sont bien distincts les uns des autres. C'est à partir de ces «espèces empiriques» que l'induction philosophique s'efforce de déterminer la nature de ces corps.

b) En chacun de ces corps, toutes les propriétés signalées forment un «tout» indissolublement lié, de telle sorte qu'il suffit d'en reconnaître une seule pour prévoir à coup sûr la présence de toutes les autres; et ce groupement jouit d'une remarquable stabilité. Par exemple, si on a un corps simple dont le poids atomique est 16, ce corps aura toujours son point de fusion à -183 degrés en dessous duquel il sera solide; et il jouira de toutes les autres particularités de l'oxygène.

c) De tels groupes de propriétés comparés entre eux, se manifestent pleinement irréductibles. Si toutes les espèces empiriques ont les mêmes propriétés, ce n'est que par abstraction, en considérant ces propriétés séparément et indépendamment de leur loi d'exercice qui les lie en groupes; en ceux-ci, elles vont en direction indépendante et souvent opposée. Par exemple, tandis que le fer demande une chaleur de 1575 degrés pour être liquide, l'hydrogène demande un froid de -252.5 degrés.

Bref, nous constatons que ces propriétés forment des groupes stables en eux-mêmes et irréductibles entre eux.

§368). b) PRINCIPE D'INTERPRÉTATION: Or l'unique raison suffisante de cette stabilité et irréductibilité de ces propriétés, est l'existence en leurs sujets subsistants, d'une forme substantielle distincte, c'est-à-dire l'existence de substances spécifiquement distinctes; car: «Telles propriétés, tel être» («Agere sequitur esse»).

Le fait que dans tous ces groupements nous ne rencontrons que des propriétés quantitatives ou des énergies sources d'actions purement transitives, doit nous faire conclure que nous restons dans l'ordre minéral, absolument matériel. Mais si tous ces groupements sans exception ne possédaient qu'une même forme substantielle, celle-ci étant, comme nous l'avons dit [§359], principe d'opération et de finalité, il deviendrait inintelligible que dans les mêmes circonstances, sous la même pression et à la même température par exemple, une portion de matière (celle du fer) agisse en un sens; et une autre (celle de l'oxygène) agisse en un autre sens et de façon opposée, au point d'entrer en conflit. En présence de sujets vivants et surtout libres, on pourrait peut-être expliquer une semblable diversité dans la même espèce, par la plasticité et la complexité de leurs opérations, puisqu'on trouve ainsi des guerres dans l'espèce humaine. Mais les minéraux sont des causes nécessaires dont les opérations sont rigoureusement soumises au déterminisme de la nature, comme en témoigne le succès même des sciences positives. La stabilité et la diversité des groupements d'opérations qui s'affrontent ne peut donc s'expliquer que par la diversité des principes substantiels, sources stables par définition, d'activités orientées en un sens déterminé.

Sans doute, le principe ne s'applique pas toujours avec pleine évidence; on peut rencontrer des groupements assez différents et qui ne manquent pas de stabilité, par exemple, un morceau de glace et de la vapeur d'eau, attribuable pourtant à une seule forme substantielle. On trouve aussi le cas inverse, un groupe assez stable de propriétés, comme celui d'un alliage or-cuivre, qu'on attribue pourtant à deux formes substantielles ou à deux espèces chimiques distinctes. Mais si les applications peuvent comporter des doutes, le principe général reste certain. Partout où se trouve un groupe vraiment irréductible de propriétés associées entre elles de façon stable, il y a une espèce et une forme substantielle distincte, la preuve que deux particules matérielles appartiennent à ce groupe étant que, dans les mêmes circonstances elles réagissent et se comportent de façon identique. Par exemple, que l'on prenne de la glace ou de la vapeur d'eau, si on les réduit à la même température pour les soumettre à l'électrolyse, on aura le même résultat de H et de O; tandis que si l'on prenait du mica ou une autre substance au lieu de glace et si l'on s'efforçait de le réduire à la même température que la vapeur d'eau pour en tenter l'électrolyse, le résultat serait tout différent.

Conclusion. - On peut donc affirmer comme certaine la thèse générale: Il existe plusieurs espèces de minéraux; et l'on peut en donner des exemples incontestables, tout en notant que parfois la distinction spécifique n'est que probable.

C) Corollaires.

§369) 1. - Définition des espèces infimes. Au point de vue philosophique, après avoir énuméré à la lumière de l'expérience toutes les propriétés indissolublement liées qui caractérisent un corps (ce qui constitue sa définition descriptive complète), il resterait à découvrir la propriété la plus importante découlant directement de l'essence à partir de laquelle toutes les autres pourraient être déduites, ce qui donnerait la différence spécifique nécessaire pour obtenir une définition essentielle [§33]. Mais ce programme n'est plus celui de la Philosophie naturelle: il appartiendrait aux sciences particulières comprises à la façon des anciens, comme subalternées à la philosophie. De telles sciences sont toujours légitimes et possibles, mais n'existent plus actuellement.

Les sciences positives modernes ne se désintéressent pourtant pas du problème; et c'est pour le résoudre qu'elles proposent diverses théories ou hypothèses explicatives. Mais, comme nous l'avons dit [§124 et §340], ces «explications» doivent se prendre au sens mathématique, pour avoir une valeur de vérité scientifiquement démontrée. Comme interprétation ontologique, elles n'ont jamais qu'une valeur d'hypothèse non démontrée et un nouveau fait peut toujours les remettre en question. Il est néanmoins permis de les apprécier du point de vue philosophique, et il convient de le faire ici, du moins quant à leurs traits essentiels.

§370) 2. - La théorie atomique moderne. Nous distinguerons d'abord nettement l'atomisme philosophique dont nous parlerons plus bas, et la théorie atomique scientifique dont il s'agit présentement. Cette théorie restant, au point de vue ontologique, une pure hypothèse [§124], respecte pleinement nos conclusions philosophiques; et même s'il n'existait pas d'atomes, la mesure appelée «poids atomique» garderait toute sa valeur, ainsi que toutes les lois unifiées par la «théorie» atomique. Ces lois d'ailleurs, comme traduction de faits authentiques, loin de s'opposer à notre thèse de la multiplicité spécifique des minéraux, lui fournissent la base la plus ferme, soit en mettant en relief les groupes stables et irréductibles de propriétés, soit en montrant expérimentalement le lien entre ces propriétés en chaque espèce ou famille. C'est ce qui ressort en particulier de la classification de Mendelejeff (1834-1907) pour les corps simples, fondée sur la série croissante des poids atomiques, depuis l'H (1) jusqu'à l'uranium (92), de façon à obtenir des familles basées sur la valence vis-à-vis de l'oxygène. On constate, en effet, que dans cette série ascendante la valeur de la valence augmente de 0 à 7, puis recommence à 0 pour former toujours des groupes de 8. Il doit ainsi y avoir 92 corps simples; et plusieurs de ces substances encore inconnues lorsque Mendelejeff dressa son tableau ont été découvertes depuis et sont venues occuper les cases vides. Un ordre aussi inattendu s'imposant par les faits constitue une classification naturelle et confirme l'existence parmi les minéraux de genres et d'espèces au sens philosophique.

§371). Comme ensemble de faits et de lois incontestables, la théorie atomique moderne soulève trois principaux problèmes philosophiques: celui de l'existence des atomes, celui de leur permanence dans les changements, celui de leurs éléments constitutifs.

1. Selon l'hypothèse émise en 1806 par Dalton (1766-1844), l'atome est la plus petite partie d'un corps simple qui puisse entrer en combinaison. La molécule est la plus petite partie d'un corps qui puisse exister à l'état libre. Dans les corps composés, la molécule est constituée par l'addition d'un certain nombre d'atomes de corps simples, en proportion définie et nécessaire. Tous les atomes d'un même corps sont identiques, mais ils diffèrent en chaque corps, notamment par le poids. Ces particules sont extrêmement petites, puisqu'on évalue leur nombre à 30 milliards de milliards dans un cm3 de corps gazeux comme l'air.

La philosophie n'a aucune objection contre l'existence réelle de tels atomes. Mais il faut noter que cette existence n'est pas un fait directement constaté, car nos instruments sont incapables d'isoler une si petite parcelle matérielle. Elle est donc toujours posée comme conclusion d'un raisonnement et comme théorie ou hypothèse explicative des lois chimiques et physiques. Elle rend compte par exemple, des trois états des corps: s'il existe entre atomes ou entre molécules une force de cohésion variable avec les espèces, et, en chaque espèce, avec la chaleur, l'état gazeux se caractérise par la séparation relativement grande des particules, et leur agitation continue, d'où la théorie cinétique des gaz expliquant les lois de pression; l'état solide ne tolère qu'un minimum de séparation, et l'état liquide est un intermédiaire. En chimie, deux lois fondamentales étayent l'hypothèse: a) la loi des proportions définies: «Les corps se combinent suivant des rapports pondéraux déterminés et invariables»; b) la loi des proportions multiples: «Il existe un rapport souvent très simple et toujours commensurable entre les quantités variables d'un corps qui se combinent avec la quantité constante d'un autre corps». Ces lois s'expliquent facilement si les corps n'entrent en réaction que par atomes, de poids invariables. D'où la notation atomique où chaque lettre désigne un corps simple avec un poids fixe, et, pour l'atome gramme à l'état gazeux, le volume fixe de 22.4 litres; par exemple, SO4H2 désigne un atome de soufre (32 grammes), 4 atomes d'oxygène (16 gr. X 4 = 64 gr.) et 2 atomes d'hydrogène (1 X 2 = 2) ou 98 gr. d'acide sulfurique, en notant que l'atome gramme contient des milliards d'atomes réels, tels que les conçoit la théorie.

Cependant, la notation atomique admise aujourd'hui supposé un postulat supplémentaire, appelé l'«hypothèse d'Avogadro» (1776-1856): «Plusieurs gaz de nature différente, par exemple, l'oxygène, l'azote, la vapeur d'eau, sous la même pression et à la même température ont le même nombre de molécules». Avec ce présupposé, la comparaison de multiples réactions chimiques a permis de déterminer, les uns par rapport aux autres, le poids atomique de tous les corps simples classés dans le tableau de Mendelejeff. On a pu aussi calculer le poids réel de certains atomes, comme ceux d'H ou d'N; et des procédés très différents ont donné des résultats remarquablement convergents [°461].

2. Cependant, la théorie suppose aussi que les atomes restent immuables, non seulement quand varie leur cohésion sous les trois états gazeux, liquide, solide; mais à travers toutes les combinaisons chimiques au terme desquelles l'analyse les retrouve, selon l'adage: «Rien ne se perd, rien ne se crée». Dans son sens obvie, cette hypothèse est ici contraire à notre thèse philosophique; car il y a entre un composé et ses éléments la même différence qu'entre deux corps simples, au point de vue des groupes stables et irréductibles de propriétés. Si l'on compare le chlore et le sel de cuisine (NaCl), entre le premier, gaz à l'état naturel, jaunâtre, d'odeur suffocante, poison destructeur de nos organes; et le second, solide à l'état naturel, blanc, inodore, réagissant favorablement à notre organisme, etc.; il y a autant de différence, par exemple, qu'entre le radium et le plomb. Le fait d'ailleurs que le plomb vienne du radium par désagrégation radioactive, comme le chlore du sel par analyse chimique, n'offre point d'objection contre la distinction spécifique de ces divers corps: c'est un phénomène de changement substantiel [§374]. L'hypothèse atomique doit donc être corrigée en ce sens si on l'interprète philosophiquement.

Ajoutons que pour jouer son rôle scientifique, elle n'a nullement besoin de l'identité spécifique (au sens philosophique) de tous les corps, ou des corps composés avec les corps simples. Il lui suffit, en effet, d'affirmer la permanence des conditions et propriétés quantitatives, spécialement du poids atomique; et l'équivalence des énergies qui en découlent selon les règles de la mesure des qualités exposées plus haut [§340 et §347]. Puisque la science physico-mathématique se met uniquement à ce point de vue, toutes ses lois seront parfaitement unifiées par la théorie atomique comprise en ce sens restreint. Elle est alors en pleine harmonie avec nos conclusions philosophiques qui la complètent seulement du point de vue qualitatif et ontologique. Le caractère de sujet dernier permanent joué par la matière première, racine de la quantité, fournit même une explication par la cause profonde à la stabilité quantitative des atomes à travers toutes les combinaisons chimiques, malgré tous les changements substantiels.

3. Les recherches scientifiques récentes par la méthode de la radioactivité ont précisé la théorie atomique sur deux points principaux.

a) D'abord, on a démontré que les espèces chimiques étaient formées en réalité par un mélange d'isotopes (c'est-à-dire ayant la même case dans le tableau de Mendelejeff), différents seulement par le poids atomique et possédant sensiblement le même groupe stable de propriétés physiques et chimiques. Il n'est donc plus si évident qu'il y ait là deux espèces différentes ou plutôt de simples variétés individuelles douées d'une certaine stabilité, analogues aux races chez les vivants. Mais au point de vue de la théorie, il en est résulté que les corps simples ayant des poids atomiques fractionnaires, sont devenus des mélanges d'isotopes ayant toujours des poids atomiques de nombre entier, par exemple, le cuivre, de poids atomique 63.57, donne les isotopes, 63 et 65; le mercure, 200.6 donne les isotopes 197, 202, 204, etc. D'où le regain de faveur pour l'hypothèse de Proust (1915), selon laquelle tous les corps seraient finalement constitués d'atomes d'hydrogène.

b) Cette hypothèse rejoint la deuxième précision obtenue sur la structure même de l'atome des corps simples. L'émission spontanée de radiations où l'on a reconnu d'autres corps simples, comme l'hélium (rayon Béta) et le résidu constituant un nouveau corps (comme le plomb, résidu du radium) a démontré la composition des atomes des corps simples. De plus, l'hypothèse de la constitution granulaire de l'énergie où l'électricité est formée d'électrons a suggéré l'image de l'atome sous forme de système solaire en miniature, avec un noyau central et des électrons gravitant autour du noyau à une vitesse déterminée, les masses proportionnelles et les distances entre noyau et électrons étant comparables en grandeur à celle du soleil par rapport aux planètes; le nombre des électrons correspondrait au numéro d'ordre dans la classification de Mendelejeff, de 1 à 92. - De plus, la méthode de «bombardement» des noyaux à l'aide de particules douées de grande vitesse, pratiquée sur les corps simples plus lourds et donc plus instables, a obtenu leur décomposition directe en corps simples complémentaires. Ainsi le radium, de nombre atomique 92, donne le xénon (54) et le strontium (38).

Ces recherches sont encore trop récentes pour qu'on puisse en proposer une interprétation philosophique complète. Notons seulement que l'image de l'atome proposée par Bohr comme «système solaire» ne prétend nullement traduire la réalité; car les électrons y suivent les lois de la mécanique ondulatoire où disparaît parfois leur individualité [§346].

D'autre part, la composition de tous les corps à partir de l'hydrogène ne semble pas absurde à priori. Elle est insinuée par le fait que le poids atomique de l'hydrogène seule n'est pas un nombre entier: il est de 1.0077. Les atomes en se combinant pour former les autres corps auraient libéré une quantité d'énergie correspondant à la perte de ces 0.0077 de masse, en sorte que la masse de tous les autres corps deviendrait un multiple entier de 1; et l'énormité de l'énergie ainsi exprimée (qu'il faudrait restituer à l'H pour la reconstituer) expliquerait la stabilité des corps simples. Mais si une telle hypothèse se vérifiait, il faudrait y voir évidemment un changement substantiel qui demanderait, pour être intelligible, une cause efficiente proportionnée.

§372) 3. - Atome et individu. Nous avons montré plus haut [§340] que les «grains» d'énergie, électrons ou photons, ne pouvaient s'interpréter comme des individus corporels agissants. Les atomes et les molécules, au sens de la théorie moderne, sont beaucoup plus aptes à remplir ce rôle, dans la mesure où leur existence comme sujets indépendants les uns des autres, est avérée. Selon la théorie, en effet, ces particules sont le siège de toutes les activités et propriétés caractéristiques de l'espèce, et elles ont dans les réactions chimiques, leur mode propre de se comporter.

Il reste pourtant un doute au sujet de la force de cohésion qui les lie les unes aux autres dans la même espèce pour former des blocs homogènes, et en particulier, sur le phénomène des cristaux qui en résulte. On explique ce fait en dotant les atomes d'une structure où sont inégalement réparties les forces électriques et magnétiques contenues en lui, en sorte que chaque atome garde son rôle propre dans le phénomène, tout en se liant à ses voisins selon des lois nécessaires. Mais on peut se demander si ce lien n'est pas assez étroit pour former un «tout» indépendant où chaque particule constituante perdrait son individualité pour passer au rang de parties d'un même sujet subsistant. Il est difficile de trouver un principe évident de solution, et la thèse des seuls atomes ou molécules comme individus subsistants reste solidement probable.

Mais en ce cas, ces particules minuscules seraient aussi seules dépositaires au sens strict des propriétés foncières des corps: matière et forme, quantité et qualité. Il faudrait même dire que leur extension serait indivisible de fait (physiquement), puisque toute division dans les molécules des composés, comme dans les corps simples par radioactivité, entraînerait un changement substantiel. La définition de l'étendue n'en resterait pas moins exacte, l'atome demeurant divisible mathématiquement; et la division quantitative actuelle s'appliquerait toujours au sens propre aux vivants.

Si même on devait donner un sens réel à l'atome de Bohr «petit système solaire», c'est au noyau principalement que conviendrait l'individualité avec toutes ses propriétés matérielles, spécialement celles de volume réel et de masse passive; et plusieurs problèmes philosophiques se poseraient au sujet des électrons: ont-ils aussi une individualité? La distance considérable qui les sépare du noyau est-elle absolument vide ou remplie par l'éther? Celui-ci, en ce cas, ferait-il partie de l'atome? Mais il ne semble pas utile de discuter ces questions, puisque le modèle mécanique de Bohr n'a certainement pas de valeur ontologique.

En attendant qu'une critique d'ensemble, du point de vue philosophique, ait dégagé le sens réel des faits nouvellement découverts, nous pouvons dès maintenant conclure que tous ces faits confirment avec éclat notre thèse, en mettant en vif relief les deux séries de propriétés corporelles dont la seule raison d'être est la matière première et la forme substantielle: les propriétés quantitatives, par le succès des mesures et des lois mathématiques; et les propriétés qualitatives, par le rôle essentiel des énergies et de leurs multiples formes.

§373) 4. - Atomisme philosophique. Selon l'atomisme philosophique, la nature de tous les corps est constituée par ces particules indivisibles appelées atomes qui restent immuables à travers tous les changements. La négation du changement substantiel est ainsi la thèse fondamentale du système. On en distingue deux formes principales:

1) L'atomisme mécaniste, le plus répandu, se propose d'expliquer tous les phénomènes physiques avec une matière homogène et du mouvement local; mais au lieu d'admettre le «plein» et l'étendue continue, comme le mécanisme de Descartes, il met à l'origine des choses, des atomes discontinus, séparés par le vide. Le fondateur fut Démocrite (Ve s. avant J.-C.) [PHDP, §18] avec l'école d'Abdère, dont la théorie un peu amendée fut reprise par Épicure [PHDP, §109] et ressuscitée au XVIIe siècle par Gassendi [PHDP, §337].

2) L'atomisme dynamiste, qui conçoit l'atome comme une force, est surtout représenté par Leibniz [PHDP, §359]. Le philosophe qui donnerait un sens réel à l'hypothèse moderne où la matière est une «condensation» d'énergie, se rapprocherait du dynamisme; mais, d'autre part, il resterait mécaniste, parce que tout s'explique dans cette hypothèse par une matière homogène (car toutes les formes d'énergies sont équivalentes et s'identifient finalement à l'H), et du mouvement local, toute la diversité des phénomènes s'expliquant par des lois mécaniques présentées sous forme d'équations.

L'insuffisance philosophique de cet atomisme est manifeste [§361]. Le système laisse toujours échapper la moitié du réel: ou l'aspect quantitatif, s'il est dynamiste, ou l'aspect qualitatif, s'il est mécaniste; et il échoue devant le monde si riche des vivants.

2. - Le changement substantiel dans le règne minéral.

These 28. - Deux causes efficientes partielles expliquent les changements substantiels du règne minéral: 1) On trouve la plus importante dans les corps réagissants, s'il s'agit de synthèse, ou dans le corps désagrégé, s'il s'agit d'analyse; 2) mais les influences cosmiques, représentant l'action des autres corps, sont des causes efficientes secondaires indispensables.

A) Explication.

§374). Étant donné la distinction spécifique entre minéraux doués de groupes irréductibles de propriétés, les combinaisons et analyses chimiques, ainsi que les désagrégations d'atomes par radioactivité, sont des changements substantiels; et il faut d'abord leur appliquer la théorie des causes dispositives exposées plus haut [§361]. Mais ces changements ont un caractère propre qui pose un problème. Ils se réalisent dans un ordre immuable, selon une loi de complexité croissante; et ils sont tous réversibles. Les composés en chimie minérale ont des formules relativement simples. En chimie organique, les formules sont de plus en plus complexes, et ce sont des radicaux, rassemblant des atomes de plusieurs corps simples, qui jouent le rôle d'éléments entiers. Au sommet, la matière vivante est formée de molécules géantes, unissant des milliers d'atomes. Mais on peut redescendre par analyse de ces énormes édifices jusqu'aux corps simples, non pas cependant, en règle générale, d'un seul coup, mais par palliers, en passant par des composés de moins en moins complexes. Et la même règle s'applique aux corps simples: Les plus lourds, comme l'uranium, se désagrègent facilement, voire spontanément, par radioactivité et on tend finalement à y retrouver l'helium et l'hydrogène, les deux corps les plus légers.

Notons d'abord que ce retour des éléments ayant servi à former le composé n'exclut pas le changement substantiel. Il prouve évidemment que les composants persévèrent d'une certaine façon dans le composé; mais ce n'est là qu'un aspect du phénomène. La constitution de groupes nouveaux stables et irréductibles de propriétés est un autre aspect qui exige le changement substantiel. Cette diversité est d'ailleurs indispensable au point de départ; car s'il n'existait qu'une seule espèce, comme l'hydrogène, dont tous les atomes seraient à la même température, aucun changement ni accidentel ni substantiel ne serait plus possible.

Il faut néanmoins sauvegarder la part de vérité de l'atomisme qui suppose une certaine permanence des atomes à travers tous les changements, et s'efforce même de retrouver dans le composé les propriétés des composants en précisant leur mode d'équilibre interne (théorie des structures atomiques et moléculaires). Dans ce but, nous assignons deux causes (ou séries de causes) efficientes partielles [§231, (d)] au changement substantiel. Celui-ci, en effet, peut être assimilé à un effet divisible, étant donné les conditions quantitatives très précises, déterminées par les lois physico-chimiques, requises dans l'antécédent pour obtenir, dans le conséquent, une ou plusieurs substances spécifiquement distinctes. Aux agents produisant ce phénomène, nous pouvons donc appliquer la définition de la cause partielle: «celle dont un effet divisible dépend quant à une partie seulement, en sorte que sa totalité est produite par plusieurs causes coordonnées». En laissant aux sciences particulières le soin de déterminer pour chaque cas la part précise de l'effet qui revient aux deux séries de causes partielles, nous prouvons que celles-ci sont, d'une part et principalement, les corps réagissants eux-mêmes; et d'autre part, les influences cosmiques [°462] dont le rôle, quoique secondaire, est indispensable.

Ces influences sont les conditions de pression, de chaleur, de lumière, de force électrique ou magnétique, de choc ou énergie mécanique, bref, l'ensemble des énergies capable d'agir sur la masse corporelle, au moment où elle passe d'une substance à une autre. Leur efficacité est d'ailleurs très variée et pour chaque cas de changement substantiel, les lois scientifiques les déterminent par un ensemble de mesures. Par exemple, l'électrolyse d'un litre d'eau demande en celle-ci telle température et un courant électrique de telle intensité pour avoir tel résultat en une minute; ou bien, si dans une cornue en fonte contenant du soufre maintenu à 400 degrés, on fait arriver un mince filet d'acide sulfurique, on obtient de l'eau et de l'anhydride sulfureux:

2SO4H2 + S = 2H2O + 3SO2

Ces formules et descriptions mentionnent simplement les «énergies» que nous appelons «influences cosmiques»; mais au point de vue philosophique, ce n'est pas l'énergie seule qui agit; c'est un ou plusieurs corps qui, par le moyen de ces énergies, agissent sur d'autres comme causes efficientes. Ainsi dans le premier exemple, l'électricité suppose un générateur, par exemple, une pile où se trouvent des corps qui sont les vraies causes efficientes; dans le deuxième cas, la chaleur de 400 degrés suppose une source, par exemple, une lampe à alcool, dont la flamme représente déjà un changement substantiel, à savoir, une oxydation qui, étant exothermique, donne la condition requise: alcool et oxygène sont ici les causes efficientes. Souvent la lumière du jour est requise et les agents sont alors les gaz du soleil. Ainsi les énergies nécessaires sont bien des influences cosmiques qui représentent la causalité efficiente des autres corps, coopérant efficacement au changement substantiel.

On doit compter parmi ces influences les corps appelés catalyseurs dont la présence est requise pour que le changement ait lieu, mais qui se retrouvent inchangés après comme avant le phénomène. On n'a pas encore expliqué leur mode d'action; et il est possible que d'autres influences inconnues s'exercent encore. Il nous suffit donc d'établir en thèse le principe général d'explication philosophique des changements, chaque fois que l'on passe vraiment d'une substance à une autre.

B) Preuve.

§375) 1. - Preuve générale indirecte. Si l'on réalisait l'isolement complet d'un corps quelconque, oxygène, eau, radium, etc., en sorte que nulle influence externe, ni calorique, ni électromagnétique, ni mécanique, ni d'aucune autre sorte, ne l'atteindrait, en supposant qu'il est en équilibre interne, il ne pourrait évidemment jamais en sortir pour donner naissance à d'autres corps; car tout minéral est de soi inerte, en ce sens qu'il est incapable par lui-même de modifier son état d'équilibre ou de repos; la vérification absolument universelle de cette loi permet d'en faire la caractéristique du règne minéral [°463]. Si donc un changement substantiel se produit, il est nécessaire que le corps destiné à cette transformation subisse une influence externe proportionnée, c'est-à-dire capable d'introduire en lui les dispositions d'une nouvelle forme substantielle.

Or une telle action ne peut se comprendre que de deux façons:

a) Ou bien la substance dont il s'agit, l'eau par exemple, (ou l'atome ou molécule de cette substance considéré comme individualité subsistante) est supposée complexe, en sorte que l'influence externe, quoique accidentelle (par exemple, une caléfaction) développe en une partie certaines dispositions latentes, de façon à rompre l'équilibre interne du corps; et le résultat sera le retour aux éléments par analyse.

b) Ou bien la substance primitive est supposée simple, c'est-à-dire indécomposable sous l'action du genre d'influences qu'elle subit; ce sera par exemple, l'hydrogène que l'on chauffe, qu'on électrise, etc. Dans ce cas, aucune de ces influences ne pourra jamais y introduire les dispositions ultimes d'un nouveau corps; car l'équilibre interne de l'H étant toujours stable, puisque ce corps est indécomposable, toutes les influences accidentelles qu'il subira s'harmoniseront nécessairement avec lui et respecteront sa nature substantielle. Mais si l'action externe s'exerce par un autre corps spécifiquement distinct, par exemple, si l'H est en présence du chlore, la mise en commun de leurs énergies pourra réaliser un nouveau groupe de propriétés, où les propriétés des deux corps primitifs trouveront un autre équilibre, souvent réalisé en sacrifiant une partie d'énergie calorique communiquée au milieu ambiant; ainsi naîtra, dans notre exemple, l'acide chloridrique: H + Cl = HCL + 22 calories. Il suffit alors comme influence externe d'une cause motrice qui met en contact les deux corps réagissants. Donc, dans l'un et l'autre cas, le changement substantiel s'explique principalement par les corps préexistants: soit par le composé, l'eau qui rend ses éléments H et 0; soit par ces éléments H et Cl qui produisent ensemble le composé HCl: première série, la plus importante, de causes efficientes partielles. Mais il y a aussi des influences externes nécessaires, au moins pour réunir les éléments ou pour rompre l'équilibre du composé: ce sont les influences cosmiques, deuxième série de causes efficientes partielles.

§376) 2. - Preuve inductive directe. a) FAITS. 1. Toutes les expériences de changements substantiels montrent que le résultat est principalement déterminé par la nature spécifique des corps choisis comme point de départ. Que l'on fasse, par exemple, l'électrolyse de l'eau pure ou d'une solution de sel NaCl, la même influence d'un courant électrique identique donnera des résultats très différents; d'un côté, de l'H et de l'O; de l'autre, du sodium et du chlore. De même s'il s'agit de combinaisons aboutissant à un nouveau corps composé, la même chaleur ou la même étincelle électrique donnera, ici de l'eau, là de l'acide chlorydrique, suivant qu'on agit sur un mélange d'H et d'O ou sur un mélange d'H et de Cl.

2. D'une façon plus précise, comme on le voit dans ces exemples, les propriétés des nouvelles substances dépendent principalement, quant à leur perfection, c'est-à-dire quant à leurs notes caractéristiques, des propriétés des corps choisis au point de départ. Ainsi le poids atomique ou moléculaire dans la synthèse est toujours l'addition de celui des composants, en sorte qu'on les retrouve évidemment dans l'analyse; ce fait se réalise aussi dans les changements obtenus par la méthode de la radioactivité, mais en tenant compte de la déperdition d'énergie traduite dans les formules par la diminution de la masse de l'H qui diminue de 0.0077. Par analogie, on peut supposer qu'une perte de ce genre se réalise aussi dans les combinaisons chimiques exothermiques, mais elle est si légère qu'aucun de nos instruments ne peut la déceler. De même, les raies spectrales soit de la lumière solaire, soit des rayons X, dépendent aussi dans le composé de celles des composants. Les affinités chimiques au contraire, mesurées par les valences, se saturent mutuellement et par conséquent sont très différentes dans le composé et les composants; par exemple, le sulfate de baryum BaSO4 est un corps des plus inertes chimiquement, tandis que l'O et le Ba sont très actifs. Mais en ce sens encore le résultat dépend des corps choisis au début, qui sont tels que leurs valences s'équilibrent.

3. Cependant, malgré l'importance du rôle de ces corps, on constate toujours la coopération d'autres facteurs; tout au moins, dans les synthèses de corps doués entre eux de grande affinité, celle d'une force mécanique qui les met en contact, car le contact est toujours requis pour que se produise le changement. D'autres influences, comme chaleur, lumière, etc., sont souvent indispensables, et c'est la règle pour les analyses, comme les électrolyses. D'ailleurs, beaucoup d'analyses dégageant des corps simples sont en même temps des réactions produisant d'autres composés.

b) PRINCIPE D'INTERPRÉTATION. Si la cause efficiente est «un être doué de perfection dont l'influence explique l'apparition ou les caractères d'un événement ou d'un être dépendant» [§219], deux groupes d'influences explicatives en commun d'un fait en seront les causes efficientes partielles

Donc la cause efficiente la plus importante des changements substantiels se trouve dans les corps d'où part le phénomène; et les influences cosmiques sont une cause efficiente partielle, en règle générale indispensable.

C) Corollaires.

§377) 1. - Cas de spontanéité. L'inertie de la matière minérale ne signifie pas qu'elle est dépouillée de toute activité, mais bien que chaque minéral est incapable d'agir seul pour son propre perfectionnement ou pour réaliser un cycle évolutif à l'intérieur même de ses propriétés spécifiques. Toute son activité, et en ce sens sa «spontanéité» est tournée vers le dehors; elle se dépense en actions transitives pour influencer les autres corps, les mouvoir, les chauffer, les illuminer, les électriser, les attirer ou repousser, etc. Ces activités et influences sont évidemment toujours mutuelles, chaque corps ayant ses propriétés mesurées par sa forme substantielle «il agit selon qu'il est en acte» [§197, (2)]. De là, comme nous l'avons noté [§256], le caractère de nécessité de toutes les interactions minérales, et le règne parfait du déterminisme en ce domaine. La spontanéité qu'on y découvre est toujours prévisible et mesurable, directement ou indirectement.

Signalons deux cas de spontanéité, l'un de synthèse, l'autre d'analyse:

a) Si deux corps ont entre eux une spéciale affinité, leur simple rencontre détermine spontanément une vive réaction. Le contact requis et la cause mécanique qui le procure semblent n'être qu'une simple condition nécessaire du changement substantiel, dont les corps en présence seraient ainsi la cause efficiente totale. Cette explication semble plausible et définirait philosophiquement la spontanéité de synthèse, comme une action où les influences cosmiques n'interviennent plus comme cause efficiente mais seulement comme conditions «sine qua non» [°464]. Il faut noter cependant que cette spontanéité n'est constatée qu'à l'état naturel, c'est-à-dire au sein de diverses influences qu'on néglige souvent, parce qu'elles sont habituelles, mais qui ne sont pas moins réelles et actives, comme la pression atmosphérique, la lumière, l'ambiance électromagnétique, etc. Il est possible que le phénomène mieux analysé révèle encore une influence causale de ces énergies cosmiques.

b) Une spontanéité d'analyse plus frappante encore se manifeste dans les corps radioactifs. Le fait constaté, décrit selon la méthode des sciences physico-mathématiques (phénomène scientifique) est celui d'une émission d'énergie constante (pendant un certain temps) irrépressible et spontanée. Par exemple, un gramme de radium, au cours d'une existence d'environ 2500 ans émettrait une quantité d'énergie évaluée à 3.10 x 109 calories. Nous ne possédons aucun moyen d'arrêter cette déperdition et elle provient toute entière de l'intérieur du radium, comme si celui-ci la tirait de sa propre substance par action spontanée. L'émission d'énergie constitue divers rayonnements (rayons alpha, bêta, gamma) soumis à nos mesures, au sujet desquels les savants ont avancé diverses hypothèses. On les considère souvent comme des influences électriques ou «électrons», les uns chargés positivement et moins rapides (alpha), les autres dont la vitesse approche de celle de la lumière, chargés négativement (bêta). Il semble établi que le radium expulse ainsi de son sein des particules ou atomes d'un corps simple connu et léger, l'hélium (poids atomique 2); et que, au terme de sa période de 2500 ans, il devient du plomb. Ce dernier aspect du phénomène se manifeste mieux encore par la scission des atomes lourds, radium, uranium, etc. dont nous avons déjà parlé [§371, N° 3]. Mais ce dernier phénomène n'est plus un cas de spontanéité.

À première vue, si on considère l'atome de radium comme sujet individuel, cause efficiente de tous ces phénomènes, il semble doué d'une réelle spontanéité, c'est-à-dire de l'aptitude à agir de lui-même sans subir l'influence préalable d'un excitant externe; et cette première interprétation philosophique n'est nullement impossible, car il s'agit ici d'actions transitives, comme il convient aux natures minérales; et d'ailleurs, le milieu sur lequel agit le radium réagit normalement selon la loi physique de l'action et réaction [§327]. II faudrait dire en ce sens que les énergies radioactives sont des puissances opératives actives «qui disposent leur sujet directement à l'action sans demander l'aide du dehors» [§328].

Cette conclusion cependant est loin d'être certaine. Il faut noter d'abord l'étrange comportement de ce corps qui, au lieu de tendre à se conserver, comme le veut la loi de tout être, tend à se détruire spontanément. Il est vrai que la loi de conservation est indirectement respectée, en ce sens que les corps nouveaux obtenus par la désagrégation du radium sont finalement parmi les plus stables, comme le plomb et surtout l'hélium, réfractaire à une nouvelle désagrégation, même à la température des étoiles. C'est d'ailleurs une loi de tout changement substantiel des minéraux, par synthèse comme par analyse, de réaliser toujours de nouveaux corps plus stables. Mais, comme nous l'avons noté déjà [§375], aucun corps supposé en équilibre interne ne se désagrège de lui-même. S'il agit spontanément, (par action transitive évidemment), ce sera pour influencer son milieu et l'harmoniser à son état, et non pas pour se détruire soi-même. Ce dernier phénomène suppose toujours la réception d'une influence étrangère: c'est d'abord une passion, non une action spontanée.

C'est pourquoi, philosophiquement, le cas du radium ne peut s'expliquer que de deux façons. a) Ou bien ce corps dont le poids atomique est considérable et qui est déclaré très instable, n'est un corps simple qu'en apparence, classé dans le tableau de Mendelejeff selon un critère quantitatif insuffisant. Il ne serait même pas un composé un par soi, mais un groupement d'éléments réagissant les uns sur les autres et produisant ainsi les phénomènes connus de radiations, dans le même sens que certains mélanges sont chimiquement instables et sont le siège de changements substantiels ou de réactions continues. b) Où bien, si on admet le radium comme corps simple, on dira que l'analyse constatée, vrai changement substantiel comparable a l'électrolyse de l'eau ou d'un autre corps, n'est spontanée qu'en apparence, et serait due à une influence cosmique non décelée, par exemple, celle des rayons cosmiques, à peine connus ou d'une autre cause efficiente partielle.

Mais la description du phénomène par les savants est trop techniquement élaborée du point de vue mathématique pour qu'on puisse en présenter une interprétation philosophique satisfaisante. Celle-ci ne sera possible qu'après une reprise critique d'ensemble des lois et des théories physico-mathématiques, pour en préciser le sens ontologique.

§378) 2. - Mode de permanence des éléments. La production successive par changements substantiels de corps composés de plus en plus riches à partir d'éléments plus simples, est le premier exemple d'un fait qui caractérise l'ordre de l'univers entier. Les êtres supérieurs possèdent toute la perfection des inférieurs comme une sorte de base générique, à laquelle ils ajoutent une perfection propre plus haute, comme leur distinction spécifique. Ce fait a donné lieu à la classification logique par genres et espèces. Mais il convient de définir, du point de vue ontologique, les diverses possessions de perfection.

La possession d'une perfection dont nous parlons est très différente de la possession juridique d'un champ, dont il s'agit en morale. C'est la possession ontologique qu'on peut définir en général, le fait qu'une perfection fait partie d'un sujet sans distinction réelle. Si le sujet considéré est, au sens strict, la substance agissante une par soi, la possession suppose que la perfection fait partie de l'essence substantielle d'une façon ou d'une autre. Si l'on prend comme sujet le «tout physique» au sens large, comprenant substance et accidents [§206], la perfection possédée pourra aussi être une propriété accidentelle comme une science. Dans cette perspective; nous distinguerons d'abord:

1. La possession potentielle par laquelle une perfection se trouve dans sa cause matérielle, non pas selon sa réalité, mais en tant qu'elle peut en être «tirée» par l'action d'un agent; ainsi le bloc de marbre «possède» en puissance la statue.

2. La possession actuelle par laquelle une perfection se trouve en un sujet selon sa réalité. Toute cause efficiente ou formelle possède ainsi, par définition, la perfection de son effet; par exemple, un foyer possède en acte (ou actuellement) la chaleur par laquelle il chauffe.

Mais la possession actuelle peut se réaliser de trois façons qui ne s'opposent pas toujours et se combinent de diverses manières. On les appelle «formelle», «éminente» et «virtuelle».

a) La possession formelle est celle où la perfection possédée se trouve selon sa définition, par exemple, la vie sensitive est possédée formellement par l'homme et par le chien.

b) La possession éminente est celle où la possession se réalise à son suprême degré sans mélange d'aucune imperfection (éminente au sens strict), ou du moins à un degré supérieur où les imperfections des degrés inférieurs ne se retrouvent plus (éminente au sens large); par exemple la vie en Dieu; ou au sens large, la raison dans les anges.

c) La possession virtuelle est celle où la perfection est présente comme un effet dans une cause, celle-ci ayant la «vertu» ou la capacité active de produire cet effet; il s'agit soit d'une cause efficiente, comme l'artiste possède virtuellement son chef-d'oeuvre; soit d'une cause formelle vis-à-vis d'un effet formel secondaire et réellement distinct, comme le gland possède virtuellement le chêne.

La possession éminente n'exclut ni la possession formelle; ni la possession virtuelle. Elle est même régulièrement associée avec cette dernière, quand on la prend au sens strict, comme en Dieu. Ces distinctions sont prises à des points de vue différents:

«éminente» s'oppose à possession «au même degré» («actu simpliciter» en latin);

«virtuelle» s'oppose à possession «constitutive de l'essence»;

«formelle» s'oppose à possession «impropre» ou «matérielle».

On dira donc que la perfection des corps composants, et, en ce sens, leur forme substantielle, reste dans le composé, non par une possession potentielle seulement, mais actuelle et partiellement virtuelle [°465], puisque, dans l'analyse, le corps composé joue le rôle de cause efficiente partielle. D'autre part, cette possession n'est ni formelle, ni éminente au sens propre. Elle est intermédiaire et illustre le principe: «La nature ne fait pas de saut». Elle conduit peu à peu à la cellule vivante en passant des matières organiques à la matière organisée; et celle-ci réalise la possession virtuelle totale des perfections minérales.

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