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Physique (§274 à §293)

3. - Le lieu

Thèse 14. - Le lieu pour un corps est proprement la «superficie première et immobile des corps ambiants». Tout corps occupe son lieu par un mode d'être accidentel spécial qui découle de son extension comme effet formel secondaire.

A) Explication.

§274). Le lieu est immédiatement saisi par intuition sensible comme un certain réceptacle qui contient un corps. Il est clair des l'abord, que ce réceptacle est extérieur au corps localisé. Par analogie, on peut de la même façon considérer le volume d'un corps par rapport à ses propres limites: par exemple, dans une colonne, le marbre dont elle est faite est contenu dans la superficie cylindrique qui la limite: c'est ce qu'on peut appeler le lieu interne, par opposition au lieu externe où se trouve l'objet. Mais pris en ce sens, le lieu interne n'est rien d'autre que le volume ou la quantité extensive, dont nous avons traité au paragraphe précédent. C'est pourquoi nous ne parlerons ici que du lieu externe qui est le lieu au sens premier du mot.

D'autre part, si le lieu est extérieur au corps, par exemple à l'arbre, il y a dans ce dernier un mode d'être par lequel il se trouve ici ou là: ce mode d'être est un des dix prédicaments, appelé en latin l'«ubi» et on lui donne parfois le nom de lieu interne. Pour plus de clarté, nous réserverons le terme lieu pour désigner uniquement le lieu externe, selon son sens obvie. La première partie de la thèse en établit par induction la définition. Quant à l'ubi, nous l'appellerons l'accident localisateur, ou la localisation; puisque, d'une façon générale, il est le «mode d'être par lequel un corps est localisé». La deuxième partie de la thèse s'efforce d'en préciser la nature.

B) Preuve de la thèse.

§275) 1. - Définition du lieu. L'induction qui établit cette définition n'est que l'interprétation correcte des faits d'expérience et de la manière habituelle de parler. On y distingue trois étapes:

1) Le lieu est la superficie du corps ambiant. Voici de l'eau dans un bocal; elle est là, dit-on, dans un lieu, parce qu'elle est dans un réceptacle qui la limite et l'enferme. Ce réceptacle est un corps étendu; mais pour affirmer qu'il est le lieu de l'eau, on ne tient pas compte de toutes ses propriétés: peu importe sa nature ou ses qualités, qu'il soit de verre ou de cuivre, blanc ou rouge; peu importe aussi l'épaisseur des parois: on considère uniquement la capacité, c'est-à-dire l'extension des parties qui entourent l'eau. Le lieu est donc d'abord la superficie du corps ambiant.

2) Superficie immobile. Si on emporte le bocal dans une autre chambre, on dira que l'eau change aussi de lieu, à moins de la considérer précisément par rapport aux parois du même vase qui n'ont pas varié: elle reste en ce sens au même endroit. Ainsi l'immobilité de la superficie ambiante, au moins relativement au corps localisé, est essentielle au lieu.

Cette immobilité, d'ailleurs, n'est pas nécessairement physique; si, par exemple, un bateau est solidement amarré dans un fleuve, ce bateau reste au même lieu, bien que la surface physique de l'eau qui l'entoure change continuellement. C'est que, par rapport au point de repère fixe qui est la rive, la surface des molécules d'eau qui se succèdent au contact des parois du bateau reste comme immobile: le lieu ne demande que cette fixité relative, par rapport à un système de référence supposé immobile.

3) Superficie première. L'eau n'est pas seulement dans le vase mais encore dans la salle, dont les murs forment aussi une surface enveloppante stable; mais cette «place» contient avec l'eau plusieurs autres objets. Ainsi la définition du lieu comme «superficie immobile des corps ambiants» désigne un genre comprenant deux espèces:

a) Le lieu commun: celui que contient plusieurs corps à la fois.

b) Le lieu propre: celui que ne contient qu'un seul corps. Le lieu commun pose plutôt le problème de l'espace, parce qu'il y a une certaine distance entre lui et les corps qu'il contient; le lieu au sens strict doit au contraire se trouver en contact direct avec l'objet localisé, de façon à le contenir lui seul à l'exclusion de tout autre: c'est ce qu'on exprime en parlant de la superficie première ou immédiate.

Le lieu propre est donc bien la superficie première ou immédiatement contiguë, et supposée immobile, des corps ambiants.

§276) 2. - L'accident localisateur. Le fait d'occuper un lieu est une réalité incontestable à laquelle les hommes attachent souvent une grande importance, non point peut-être à cause de sa perfection propre, mais parce qu'elle est la condition nécessaire pour agir et obtenir des résultats et des biens matériels: aussi nul ne doute que les mouvements par lesquels on se transporte au lieu désiré, ne soient aussi une chose véritable. Cette réalité du mouvement local est la base d'une induction prouvant l'existence de l'accident localisateur comme mode d'être spécial.

En effet, de même que toute la réalité d'une caléfaction, passant par exemple de 0 à 50 degrés, n'est rien d'autre que cette chaleur même acquise peu à peu et finalement atteinte, ainsi toute la réalité d'une translation est dans l'acquisition d'une nouvelle localisation.

Or, celle-ci suppose évidemment un lieu externe nouveau que le mobile vient occuper; mais elle exige aussi un mode d'être nouveau dans le mobile lui-même, puisque c'est lui qui change: par exemple, si l'on verse l'eau de la carafe dans un verre, la paroi intérieure de ce dernier (nouveau lieu externe) n'a nullement changé, parce que l'eau vient l'occuper. En quoi consiste dans l'eau le changement d'emplacement? Toutes les propriétés restent les mêmes: substance, qualité, poids, volume, etc.; rien n'a varié. On ne découvre qu'une seule chose nouvelle: le contact de l'eau qui avait lieu avec la carafe et qui se réalise maintenant avec le verre.

On comprend ainsi la réalité fluente du mouvement local qui vérifie à sa manière la définition du changement: l'acte d'un être en puissance en tant qu'il est en puissance [§253]; la translation n'est qu'une localisation en devenir, qui s'actualise peu à peu. Par exemple, l'eau transvasée du château d'eau dans le verre rempli au robinet, considérée à son point de départ, est en puissance à sa localisation dans le verre; quand elle se met en branle, elle entre en contact avec les parties successives de la conduite qui aboutit au verre; elle commence dès lors à acquérir en acte cette nouvelle localisation, puisqu'elle s'en approche; mais elle ne l'a pas encore pleinement et reste en puissance à son égard, puisqu'elle est encore loin. Son mouvement n'est que cette série de contacts (qui est plutôt un contact fluent, passager) avec les parties successives de la conduite, jusqu'au terme qui est le contact stable avec le verre; si bien que la translation a pour mesure, la mesure même du chemin parcouru, c'est-à-dire de l'extension des corps avec lesquels le mobile est entré en contact.

Ce contact local est donc ce mode d'être spécial qui rend compte de la réalité du mouvement local et change avec lui, tandis que toutes les autres propriétés restent les mêmes. Il est un effet formel secondaire de l'extension, car on appelle ainsi «une détermination ultérieure découlant nécessairement d'une forme, de façon à y trouver la mesure da sa perfection» [§220]. Or la localisation ne peut s'identifier avec l'extension, puisque celle-ci reste inchangée, quand celle-là varie; mais elle en découle évidemment comme une détermination ultérieure: n'étant rien d'autre que l'application des parties quantitatives externes d'un corps aux parties correspondantes de la surface des corps ambiants, elle trouve sa nature exacte dans la nature même de l'extension, considérée dans sa limite externe ou surface: surface du corps localisé et surface du lieu propre qui l'entoure. Elle résulte à la fois de ces deux surfaces qui ont d'ailleurs exactement la même valeur quantitative; elle en est ainsi l'effet formel secondaire.

§277). Considéré en lui-même, ce contact qui est toute la réalité, et de la localisation, quand il est stable, et du mouvement local, quand il est en devenir, participe au caractère de la quantité dont il est un effet formel; comme elle, il n'ajoute aucune nouvelle perfection au corps. Du reste, il ne lui en enlève aucune lorsqu'il change, si bien que les anciens considéraient le mouvement local comme le plus parfait, parce qu'il peut affecter un être sans le priver d'aucune de ses perfections; mais on pourrait aussi le considérer comme le moins parfait, parce qu'il n'apporte jamais la moindre richesse nouvelle. Ce contact est avant tout une entité relative [§192], dont le fondement est le volume du corps localisé, et le terme, la quantité des corps voisins dans leurs parties externes qui entourent ce corps localisé: car elle est ce mode d'être spécial par lequel tout corps applique les parties de sa surface externe aux parties correspondantes du lieu.

Il ne faut pas confondre, cependant, cette entité relative avec la relation fondée sur la quantité: celle-ci est l'égalité ou l'inégalité, suivant qu'elle se fonde sur l'identité ou sur la non-identité de deux quantités (deux volumes, surfaces, longueurs, etc.) [§172]. La surface du lieu et celle du corps localisé sont, il est vrai, pleinement égales; mais cette relation d'égalité persévère quand varie la localisation. Celle-ci est une relation tout autre, une relation de contact [°378] local; c'est pourquoi Aristote la classait à part, comme un prédicament spécial: c'est ce que nous appelons l'accident localisateur (ou localisation), dont nous venons de montrer la réalité fondée sur la réalité même du mouvement local.

Mais il ne semble pas que ce mode d'être spécial confère au corps la moindre perfection absolue en dehors du contact local. Certains philosophes sont portés à doter l'accident localisateur d'une certaine perfection positive, parce que, disent-ils, une pure relation comme le contact ne peut réellement varier (comme on le voit dans la translation) si rien d'absolu ne varie, ni dans le mobile, ni dans les lieux externes; et l'on constate en effet que le déplacement, de soi, ne change rien nulle part aux propriétés absolues, ni aux qualités, ni aux quantités des choses. Mais c'est précisément pour sauvegarder ce fait qu'il ne faut pas concevoir le contact local comme une certaine perfection: c'est le simple fait qu'entre deux surfaces, il n'y a nul intervalle. Pour éclairer cette description négative, l'analyse indique deux conditions à ce genre de contact, et deux seulement:

1) La présence de deux (ou plusieurs) substances quantifiées, réellement distinctes: condition nécessaire pour qu'il y ait une relation réelle, entre un sujet et un terme, tous deux réels: si on considérait une partie comme localisée dans un même corps individuel, on retomberait dans le problème du continu, et non plus de la localisation, sinon au sens métaphorique.

2) L'affirmation d'une unité d'ordre quantitatif entre les parties qui se touchent: celles-ci, en effet, considérées comme pures parties quantitatives, une fois conjointes, ne peuvent plus se distinguer actuellement et forment comme une masse indivisée en soi; une quantité n'est divisée ou distincte d'une autre qu'en rompant le contact, soit par la distance, soit par le mouvement sur place. Considérons, par exemple, les deux lignes AB et BC:

Fig. 11

Ces deux longueurs en contact au point B n'en forment réellement qu'une, indivisée en acte; le point B indique seulement une possibilité de section ou de distinction. Mais si les deux lignes appartiennent à deux substances différentes, par exemple à deux règles jointes en B, elles sont réellement distinctes comme perfection (ou accident), tout en restant unes et indivisées comme longueur (ou parties quantitatives); car on ne peut dire que le point B se dédouble, un point appartenant à la règle AB et l'autre à la règle BC: ce serait dire que les deux règles ne se touchent pas: le contact est précisément l'affirmation de l'unité du point indivisible B, appartenant à la fois à deux lignes, supposées réellement distinctes, comme accidents de deux substances connues par ailleurs comme réellement distinctes. Et ce qui est dit de deux lignes en contact par un point, peut se dire également de deux volumes en contact par leur surface, celle-ci étant le terme quantitatif du volume, comme le point est le terme de la ligne.

Nous définissons donc le contact quantitatif, la relation par laquelle deux quantités réellement distinctes comme accident s'identifient comme quantité [°379] en confondant ou unissant leurs termes.

Et le contact local ou la localisation: la relation de contact quantitatif d'un corps par sa surface externe avec la surface correspondante des corps ambiants.

Pour qu'un corps change de lieu, il suffira que son contact change de terme, variation toute extrinsèque qui laisse intactes toutes les propriétés et perfections du mobile, sauf la localisation.

C) Corollaires.

§278) 1. - Nature des termes quantitatifs. La quantité proprement dite est le volume qui apparaît à l'intuition sensible, comme doué de trois dimensions: longueur, largeur, hauteur. Mais comme toute réalité finie, la quantité a son terme qui la limite, et par abstraction, notre intelligence y distingue trois espèces de termes ou limites, correspondants aux trois dimensions: la surface qui est la limite du volume; la ligne qui est la limite de la surface et le point qui est la limite de la ligne. Or la limite n'étant rien d'autre que la négation d'être en un ordre quelconque [§160], il faut donc concevoir ces trois termes quantitatifs comme n'ayant d'autre réalité que celle même de la quantité, en tant qu'elle nie une quantité ultérieure, ou s'en distingue réellement. Si l'«un» est l'être même indivisé en soi et distinct de tout autre [§169], ces termes ne sont que l'aspect de distinction dans l'unité de composition [§270], conférée par la quantité. Par exemple, dans la ligne AC, la quantité à une dimension confère l'unité de la longueur AC, qui étant indéfiniment divisible est une unité de composition. Les points A et C sont ce par quoi cette longueur commence et finit, c'est-à-dire nie toute prolongation, dans les deux sens. À l'intérieur de la ligne, outre le point B, on peut en désigner théoriquement une infinité d'autres qui indiquent simplement la possibilité mathématique d'une division; aussi, aucun de ces points, pas plus que le point A ou C n'est rien en dehors de l'extension en longueur dont il n'est que l'aspect négatif de distinction (actuelle ou possible).

Et de même, la ligne n'est rien en dehors de la surface qu'elle limite; et la surface n'est rien en dehors du volume qu'elle limite.

Certains philosophes, comme le P. Gredt, conçoivent ces termes quantitatifs d'une façon plus réaliste, en les douant d'une distinction réelle modale, par rapport à la quantité qu'ils limitent. Cette conception, sans, être absurde, affirme une distinction réelle qui n'est nullement établie par une induction évidente: l'effet formel spécial attribué à ces termes par Gredt, à savoir: «contactus impediens penetrationem» [°380] ou la distinction réelle des quantités, est précisément celui de l'extension elle-même [°381], prise comme accident; cette extension suffit donc pour en rendre raison, sans qu'il y ait lieu de lui accoler un mode réellement distinct.

§279) 2. - Continu et contigu. En comparant les explications données plus haut sur l'extension [§266-267] et sur le contact [§278], on peut définir le continu, la quantité dont les parties, aussi bien matériellement comme accident, que formellement comme parties, constituent une unité réelle; et la contiguïté, la propriété par laquelle plusieurs quantités sont distinctes comme accidents et unifiées comme quantité. Dans le continu, les parties sont multiples en puissance; dans le contigu, elles sont multiples en acte. C'est pourquoi dans l'ordre purement abstrait de la géométrie; ces deux notions se rejoignent et l'on passe légitimement à l'affirmation d'identité entre deux grandeurs, dès qu'on a montré qu'elles sont contiguës.

Il s'ensuit également que, dans ce même ordre abstrait, purement quantitatif, deux parties quelconques d'un continu seront conçues comme contiguës dès qu'elles ne sont point séparées par une autre partie; mais ce sera en un sens un peu différent, car, lorsque deux parties se touchent, il n'y a aucun moyen, géométriquement, de savoir si elles sont continues ou contiguës, parce que les limites terminales par lesquelles les parties comme parties sont constituées distinctes en acte, se trouvent précisément unifiées. Mais la distinction est très claire physiquement, suivant que les parties quantitatives en contact appartiennent ou non à la même substance.

C'est pourquoi nous distinguerons deux sortes de contiguïté:

a) La contiguïté au sens propre, qui suppose deux quantités réellement distinctes.

b) La contiguïté au sens large ou impropre, entre les parties d'un même continu.

Le contact local est une contiguïté au sens propre.

§280) 3. - L'impénétrabilité. On peut définir en général l'impénétrabilité, la propriété par laquelle deux quantités contiguës restent extérieures l'une à l'autre. Mais elle prend deux formes très diverses:

a) L'impénétrabilité interne, celle des parties d'une même quantité extensive, contiguës au sens impropre seulement.

b) L'impénétrabilité externe: celle de deux corps réellement distincts, contigus au sens propre.

L'impénétrabilité interne n'est que la désignation négative de l'effet formel primaire de la quantité continue. Car si toute quantité se définit comme un accident qui étend la substance en parties [§262] et si dans l'extension, ces parties ne sont distinctes qu'en puissance [§268], il est clair que l'effet formel primaire de l'extension, c'est-à-dire celui qui lui convient en vertu de sa définition [§220], est de donner des parties extérieures les unes aux autres, ou contiguës au sens large.

En ce sens, considérant que cette relation de contiguïté est un certain ordre d'avant et d'après, on définit l'extension d'ordre des parties dans le tout: «ordo partium in toto». Mais en même temps on affirme que ces parties ordonnées sont impénétrables; on ne pourrait le nier sans se contredire; car ce serait à la fois dire que ces parties sont extérieures les unes aux autres, puisqu'il y a extension; et qu'elles ne sont pas extérieures, puisqu'elles se compénètrent. La compénétration interne des parties quantitatives est impossible métaphysiquement.

Au contraire, l'impénétrabilité externe n'est qu'un effet formel secondaire et séparable de l'extension, au même titre que la localisation; car elle n'est que l'expression négative du contact local, c'est-à-dire de la contiguïté au sens propre. Si deux volumes en se rencontrant, tout en s'unifiant par leurs termes, ne gardaient pas leurs parties en dehors les unes des autres, ces parties ne joueraient plus normalement leur rôle de quantité qui est de donner des parties distinctes: cet effet propre qu'elles réalisent d'abord à l'égard des substances dont elles sont l'accident, il est naturel qu'elles l'accomplissent ensuite à l'égard des autres substances. La compénétration de deux corps est donc physiquement impossible en vertu des lois de la nature corporelle soumise aux conditions quantitatives.

Mais elle n'est pas métaphysiquement impossible, et l'on peut concevoir sans absurdité qu'elle se réalise, mais par miracle. Dans le cas, en effet, où deux corps en se compénétrant, occuperaient exactement le même lieu, comme deux billes égales mises l'une dans l'autre, les deux quantités resteraient distinctes en vertu de la distinction réelle présupposée des deux substances individuelles, dont chacune est l'accident; mais comme quantité; elles resteraient indiscernables. L'expérience universelle pour tous les corps observables montre au contraire qu'ils restent toujours discernables par leur position et leur ordre. Ainsi, sans être absurde, la compénétration est opposée aux lois naturelles des corps.

Certains philosophes vont plus loin: ils conçoivent l'impénétrabilité comme une propriété active, par laquelle le corps empêche son voisin d'occuper avec lui son lieu propre; ainsi conçue, elle n'est même plus un effet formel de l'extension: elle en devient pleinement indépendante, et l'on pourrait trouver dans la nature des cas de pénétrabilité, comme le pensaient déjà les Stoïciens [°382]: l'impénétrabilité, disent-ils, ne nous est connue que par expérience, et celle-ci nous la révèle par des phénomènes actifs de résistance et de répulsion par lesquels le corps s'oppose à l'occupation par un autre de son propre lieu [°383]. Sans nier ces faits qui soulèvent un tout autre problème [°384], il reste que l'impénétrabilité doit aussi se rattacher à la localisation, ce qui en fait un effet formel secondaire de l'extension.

§281) 4. - L'éther de Lorentz et le lieu. Le physicien H. A. Lorentz, pour expliquer certains phénomènes, en particulier ceux du champ électro-magnétique, et de la gravitation, a émis l'hypothèse de l'existence d'un corps spécial, impondérable, appelé «éther», qui, non seulement remplit tous les vides entre les corps et les molécules, mais occupe tous les lieux de tous les autres corps observables, en les compénétrant totalement. Ce milieu universel où baigne tous les corps est supposé immobile, en sorte qu'il fournit le repère fixe demandé par la définition du lieu. Le lieu se définirait alors: «la superficie des corps ambiants, immobile par rapport à l'éther». On pourrait même considérer comme lieu propre la partie de l'éther actuellement occupée par chaque corps.

Mais l'hypothèse de l'éther ainsi conçu est loin d'être démontrée; outre les difficultés qui l'ont fait abandonner par Einstein dans sa théorie de la relativité, il est difficile philosophiquement d'admettre un corps capable, sans miracle, de compénétrer tous les autres. À supposer que le fait fût réel, il serait irrémédiablement invérifiable, puisque la compénétration revient à supposer impossible d'isoler l'éther pour l'étudier à part. Au point de vue des sciences positives, l'éther n'étant qu'une hypothèse générale, qui n'entre pas dans la trame des déductions mathématiques et des lois démontrées; ces difficultés sont compatibles avec le rôle légitime et souvent fécond de cette théorie de Lorentz; mais en philosophie il est préférable de fonder les thèses et les définitions sur des faits bien constatés et vérifiés. Nous nous contenterons donc pour le lieu et la localisation, d'une immobilité relative, les définissant sans faire appel à l'éther. Dans ces conditions, il faut seulement avouer les bornes de notre savoir; ainsi, on ne peut décider s'il existe réellement un mouvement absolu, c'est-à-dire un déplacement de corps par rapport à un point réellement immobile. Mais a l'échelle humaine, il suffit de constater des mouvements relatifs, c'est-à-dire des déplacements par rapport à un corps considéré comme immobile, en faisant abstraction du changement local qui l'affecte éventuellement [°385]; ainsi tous nos transports par routes, bateaux, avions, etc., se calculent en fonction de la terre, abstraction faite de ses révolutions diurnes ou annuelles.

§282) 5. - Situs et habitus. Il faut distinguer de la simple localisation, la situation (situs) qui est l'ordre déterminé des parties du corps dans un lieu propre («ordo partium in loco»), le fait d'être couché ou assis: car l'un peut varier sans l'autre, un blessé transporté sur son brancard change de lieu, non de situation; une sphère tournante, change de situation et non de localisation.

Aristote distinguait un 10e prédicament: l'avoir («habitus») [°386] ou le mode d'être résultant dans un corps, spécialement un homme; de la présence de vêtements, d'ornements, d'armes. Mais on peut sans inconvénient le ramener à un autre mode d'être, à un contact local ou à une forme d'action ou passion, par lequel un être en possède une autre [°387].

Thèse 15. - Bien que la multilocation proprement dite soit impossible, on peut concevoir sans absurdité certaines formes de présence simultanées en plusieurs lieux.

A) Explication.

§283). La présence est une notion très simple qui se réalise de bien des façons: présence d'un livre sur la table, d'une idée dans l'esprit, de l'âme dans le corps, de Dieu dans l'univers, etc. Pour se réaliser; elle n'exige que deux conditions: l'existence actuelle de la chose présente et de l'objet ou personne à qui elle est présente; et un certain contact entre les deux. La présence en général est ce par quoi une substance (ou ce qui existe actuellement) est en contact avec une autre.

On appelle en général contact, toute forme positive de relation, et on en distingue trois principales:

1) Le contact quantitatif, qui est la relation de proximité ou de contiguïté entre deux êtres quantifiés, analysée plus haut [§278 et §280]. Cette forme seule vient du lieu proprement dit et n'appartient qu'aux êtres corporels; elle constitue la présence appelée circonscriptive ou locale.

2) Le contact virtuel («contactus virtutis») est la relation qui relie un effet à sa cause extrinsèque ou efficiente: relation de domination dans l'agent et de dépendance réelle dans l'effet [§231]. Elle convient indifféremment aux esprits et aux corps, lorsqu'ils agissent sur un autre être: un ange par exemple n'ayant pas de quantité, n'est par lui-même en aucun lieu, mais il sera présent dans telle salle où il agit, à telle personne à laquelle il communique une inspiration: présent par contact virtuel.

3) Le contact formel qui est la relation d'une cause ou d'un élément intrinsèque, avec la chose qu'il constitue; et spécialement, la relation d'une cause formelle avec le composé qu'elle actue [§220]; ainsi l'âme est dans le corps, la substance dans le pain, par contact formel.

Ces deux derniers contacts constituent des présences non-circonscriptives dont les caractères particuliers sont étudiés ailleurs. Notons qu'un être, même corporel, peut se trouver dans un lieu sans y être localement, s'il s'y trouve, par exemple, uniquement par son action; mais pour un corps, ce serait un miracle, car le mode d'agir naturel du corps dépend des conditions matérielles et suppose par conséquent le contact quantitatif et la présence locale.

B) Preuve.

§284) 1. - Multilocation circonscriptive. Elle consisterait dans la présence locale d'un même être corporel en plusieurs lieux à la fois; par exemple un homme présent à Paris par application de ses parties quantitatives aux parties de l'air et autres corps ambiants, serait en même temps à Rome de la même façon. Cette multiplication circonscriptive est métaphysiquement impossible. En effet:

Il est contradictoire de supposer qu'une surface est plus grande qu'elle-même. Or, c'est ce qu'affirme la multilocation circonscriptive, car le lieu par définition mesure exactement la surface du corps localisé; dire qu'un même homme a deux lieux, c'est dire que son unique surface externe est double d'elle-même, ce qui est absurde et impossible.

§285) 2. - Multilocation non-circonscriptive. Elle consiste dans la présence simultanée d'un même être en de multiples lieux par un contact non quantitatif. La théodicée montre qu'elle se réalise naturellement en Dieu qui est présent en tout lieu à la fois par un contact virtuel [§1008]. L'âme est aussi présente naturellement dans chaque partie du corps, par contact formel [§652]. Il n'est pas non plus contradictoire d'affirmer qu'un être corporel, présent localement en un seul lieu, soit en même temps présent en d'autres lieux par un contact non quantitatif, par exemple en y agissant (contact virtuel); car on peut sauvegarder la notion de dépendance causale, indépendamment des conditions quantitatives, dont le rôle peut être suspendu par miracle. On peut ainsi expliquer tous les faits de bilocation reconnus authentiques, en particulier dans l'histoire des Saints.

Cette thèse a aussi des applications en théologie, surtout dans le traité de l'Eucharistie, où la foi enseigne la présence de Jésus-Christ avec sa sainte humanité, sous les espèces du pain et du vin: le Christ est ainsi sacramentellement présent en plusieurs lieux, par mode de substance, sans contact quantitatif: il n'y a pas multilocation circonscriptive.

4. - L'espace

Thèse 16. - L'espace réel n'est rien d'autre qu'une relation de distance entre deux corps. - En l'absence de tout corps, il ne reste qu'un espace imaginaire, pur être de raison.

A) Explication.

§286). Dans le langage courant l'espace désigne simplement le lieu, quand est vide, ou plus exactement le lieu, abstraction faite des corps qui l'occupent ou peuvent l'occuper; car un certain espace, par exemple une chambre, peut être indifféremment, ou vide ou rempli, totalement, ou en partie. Ainsi le lieu interne [§275] est déjà un certain espace rempli par le volume même du corps; mais comme il s'identifie avec ce volume, il ne pose pas de problèmes distincts de ceux de la quantité continue. Il ne s'agit ici que de l'espace considéré en lui-même comme un lieu externe vide. Sa réalité, disons-nous, comme celle du lieu, se ramène à celle d'une relation.

La relation constitutive du lieu est une relation de contact [§278] ou de proximité avec le corps localisé. Mais si nous considérons en un lieu propre les parties opposées, séparées par le corps localisé; ou encore, les parois du lieu commun, par ex:, les murs d'une salle, ces surfaces n'ont plus entre elles une relation de proximité, mais son opposé, une relation de distance.

À l'analyse, la relation de distance, comme celle du contact, exige deux conditions, et deux seulement:

a) L'existence de deux réalités quantitatives ou corporelles, car la distance au sens propre est une chose mesurable, et appartient à l'ordre du lieu, donc des corps.

b) La négation d'unité quantitative entre les limites ou les extrémités en regard des corps distants: ceux-ci sont donc par définition, divisés ou distincts l'un de l'autre. Dans l'ordre quantitatif, les parties distantes sont des parties multiples en acte, parce qu'elles ont chacune leurs limites propres (ce que nie précisément le contact). Le signe le plus clair de cette séparation ou distinction actuelle des parties distantes est la présence entre elles d'un autre corps ou d'une autre partie quantitative ayant sa propre extension, dont la mesure est la mesure même de la distance; par exemple, la présence de l'air entre les parois d'un verre vide. Mais, l'existence de cet intermédiaire n'est pas une condition indispensable pour la distance; car évidemment, les parois du verre peuvent demeurer inchangées (donc distantes comme avant) si l'on réalise entre elles le vide absolu ou néant de corps: même physiquement, il suffirait pour l'obtenir que les parois du récipient aient une rigidité suffisante pour vaincre la pression de l'air et de tout fluide ambiant, ce qui ne semble nullement impossible. Pour que deux quantités comme telles soient distinctes ou séparées, il suffit qu'une troisième quantité puisse s'insérer entre elles, qu'elle y soit ou en acte ou en puissance.

Nous définissons donc la distance, la relation par laquelle un être ou élément quantitatif est distinct ou séparé quantitativement d'un autre; par exemple, la relation entre deux points d'un même corps ou entre deux corps éloignés.

Mais pour que la relation de distance soit réelle, il faut que les deux conditions requises [§192] se vérifient: qu'il y ait deux corps réellement distincts comme sujet et terme, et un fondement réel, c'est-à-dire la mise en acte des limites en ces deux corps.

B) Preuve.

§287) 1. - Espace réel. Si, dans le lieu externe, on supprime le contact avec le corps localisé, il ne reste que des surfaces ayant entre elles une relation de distance.

Or l'espace n'est rien d'autre que le lieu externe, en faisant abstraction de tout corps localisé, et par conséquent de tout contact avec les surfaces ambiantes.

Donc la notion d'espace ne conserve dans le lieu que la relation de distance entre les parois: celles-ci étant supposées réellement existantes et distinctes, cette relation est réelle: car elle existe bien dans la nature indépendamment de la considération de l'esprit. Elle constitue l'espace réel.

§288) 2. - Espace imaginaire. Plus on recule les parois du lieu, plus on augmente leur distance, et plus il y a d'espace. Il semble donc, qu'en les supprimant totalement, on obtienne un espace infini, le plus vaste et le plus parfait possible. Mais alors, comme il n'y a plus ni sujet, ni terme réel, toute la réalité de l'espace, qui est celle d'une relation de distance, s'évanouit; il ne reste plus qu'un être de raison appelé espace imaginaire.

Cet être de raison exprime pour l'intelligence deux idées: celle de totale privation actuelle de corps, qui n'est qu'une forme de non-être; et celle de la possibilité ou puissance logique de l'existence de corps qui fonderaient entre eux une relation de distance. De plus, ces conceptions purement intellectuelles s'accompagnent dans l'imagination du fantôme d'un corps subtil, homogène à l'air ou même à l'éther, parfaitement perméable et répandu sans limite assignable, partant, à l'infini. L'existence d'un tel corps n'est évidemment pas nécessaire à l'espace qui se définit au contraire par l'absence de tout corps; mais l'image d'un tel corps est nécessaire, vu notre psychologie, pour permettre et soutenir notre conception rationnelle de l'espace imaginaire.

C) Corollaires.

§289) 1. - Lieu et espace. Si notre univers matériel est fini, il n'est pas lui-même dans un lieu, puisqu'il n'y a plus de corps ambiant: il y a bien son extension, mais l'effet formel secondaire de localisation ne se réalise pas et demeure virtuel, faute d'un terme réel, requis pour que la relation de contact (ou de localisation) soit réelle.

Mais on peut dire que l'univers est dans l'espace, localisé en lui comme dans un lieu commun, en parlant de l'espace imaginaire: car au delà du dernier corps réel, il reste toujours possible qu'un autre corps existe, en sorte qu'on peut concevoir comme possible une relation de distance avec ce corps: cette relation n'est pas réelle, puisqu'il lui manque un terme réel: c'est une relation de raison ou un espace imaginaire, soutenu par le même fantôme de corps éthéré que l'imagination glisse sous toute conception d'espace imaginaire.

§290) 2. - Espace absolu et diverses théories. Si l'espace est cette entité purement relative, qui n'est rien en dehors des corps et de leur distance, il est incapable de fournir un point de repère ou un système de référence stable pour mesurer les distances des êtres et calculer leurs mouvements locaux: Newton, cherchant ce système, a proposé un espace absolu, être réel mi-corporel, mi-spirituel, immuable et éternel, mis en rapport, sinon confondu, avec l'attribut divin d'omni-présence [°388]. L'éther hypothétique de Lorentz remplit le même rôle et pourrait également s'appeler un espace absolu. Plus radicalement encore, Spinoza obtient ce résultat en faisant de l'étendue un attribut divin, dont les réalités corporelles ne sont que des modes [PHDP §349, sq]. En réaction contre ces excès de réalisme, Hume ne donne plus à l'espace qu'une valeur psychologique [PHDP §383] et Kant, celle d'une forme a priori des sens [PHDP §398].

L'analyse que nous avons donnée met au point ces théories.

§291) 3. - Espace à plus de trois dimensions. L'espace géométrique étudié par Euclide correspond à tous les objets d'expérience humaine et il a trois dimensions, et trois seulement. On peut cependant, par abstraction, étudier des propriétés quantitatives à deux ou à une seule dimension. Ne pourrait-il pas exister réellement des corps ainsi réduits à la longueur ou à la surface; ou bien, possédant plus de trois dimensions? Ces derniers sont évidemment inimaginables, puisque toutes nos images viennent de l'expérience; il en est d'ailleurs de même des lignes et des surfaces. Mais cette impuissance à êtres imaginés ne démontre nullement pour de tels êtres l'impossibilité d'exister, ni même d'êtres corporels, si on entend par là, être limité et potentiel (excluant la vie spirituelle), mais ils le seraient autrement que nos corps quantifiés.

On peut, semble-t-il, admettre au moins une possibilité d'un tel espace, en ce sens que rien à priori ne s'y oppose. La réussite des géométries de Lobatschewsky et de Rieman qui rejettent le postulat d'Euclide concernant l'unique perpendiculaire à une droite, semblent démontrer cette possibilité. Certains savants en physique mathématique, comme Einstein, se sont également efforcé de donner un sens à la quatrième ou à la Nième dimension, en les assimilant aux inconnues, plus ou moins nombreuses qui entrent dans leurs équations [°389]; mais ces efforts n'établissent rien de positif en faveur de l'existence de corps ou d'espaces doués de plus ou moins de trois dimensions. Cette hypothèse reste pour nous dans le domaine des purs possibles ou des êtres de raison. Nos sciences d'ailleurs, aussi bien philosophiques que positives, peuvent sans inconvénient se borner à nous faire connaître le réel dont l'expérience nous apprend l'existence certaine.

§292) 4. - Mouvement dans l'espace. Le mouvement local tel que nous l'avons analysé [§277] suppose certainement pour être réel, non seulement un mobile mais un point de départ et un terme d'arrivée, tous deux réels. D'où le problème: un corps existant seul dans le vide absolu pourrait-il se mouvoir? Dans l'hypothèse de l'espace absolu newtonien, préexistant au corps, la difficulté disparaît, mais parce qu'on change les données du problème: le corps n'est plus seul, et l'espace est conçu comme un véritable corps fournissant les deux termes de départ et d'arrivée, avec lesquels le mobile est nécessairement en contact.

Mais l'hypothèse proposée d'un vide absolu comme espace (imaginaire), où devrait évoluer un corps, n'est pas absurde; elle se réalise même pour un univers fini pris dans son ensemble. Dans ce cas, il faut dire d'abord, que les parties de cette masse corporelle peuvent certainement changer de position les unes vis-à-vis des autres, par rapport à un point supposé fixe en elles; ainsi on pourrait concevoir ces parties comme se concentrant ou se dilatant ou comme douées de rotation, de vibrations, etc. Il semble de plus que ces mouvements locaux soient compatibles avec le vide absolu, soit entre les parties de la masse, soit à l'extérieur du tout, en tenant compte cependant de l'impossibilité physique de l'action à distance [§324]. Celle-ci sauvegardée, on ne voit pas pourquoi un corps capable de traverser l'éther supposé réel, pour passer, par exemple, de la lune à la terre, deviendrait incapable de ce mouvement, en remplaçant l'éther par le vide, puisque l'on conserve les deux termes réels, avec les deux localisations ou contacts réels successifs, d'abord avec la lune, puis avec la terre, à réaliser par la translation. Celle-ci, dans le passage, reste un contact fluent, non plus en acte, mais en puissance ou virtuel, avec les corps en puissance qu'il est toujours possible d'intercaler entre deux corps distants.

Mais si l'on supprime tout point d'arrivée réel au mouvement local en entourant l'unique mobile d'espace imaginaire, la notion même de translation ne peut plus avoir aucun sens intelligible, tout comme l'idée de filiation, si l'on supposait qu'il n'y a point de fils. Car le mouvement est une relation; et celle-ci n'est intelligible que par son terme.

§293) 5. - Le mécanisme. Le mécanisme, en philosophie, est la théorie qui se propose de tout expliquer dans l'univers par deux principes seulement: une matière homogène et le mouvement local. Déjà prônée par les anciens atomistes [PHDP §18], elle fut surtout remise en honneur par Descartes [PHDP §333] et Malebranche [PHDP §339], du moins pour l'explication du monde matériel; et plus radicalement encore par Hobbes [PHDP §368 bis] qui en fait la base de tout son système. Les «Philosophes» du XVIIIe siècle, influencés par Newton [PHDP §369, A] s'en firent les protagonistes [PHDP §370]; et les positivistes, adoptant pour leur philosophie le point de vue des sciences modernes, y étaient inévitablement conduits, comme le montre en particulier la synthèse de Herbert Spencer [PHDP §479].

Nous ne critiquons pas ici le mécanisme scientifique. La science positive a le droit de n'étudier qu'un seul aspect des choses: celui du mouvement local, en faisant abstraction des autres. Mais le philosophe a pour mission d'expliquer tous les aspects des êtres, sans en négliger aucun. Or le mouvement local, nous l'avons montré, ne rend compte d'aucune nouvelle perfection dans les êtres, n'étant qu'un simple changement de contact. C'est dire son impuissance à fournir l'unique explication de tous les phénomènes. Pour masquer cette impuissance, le mécanisme met en relief le caractère mesurable du mouvement local, au moyen duquel on peut en distinguer d'innombrables formes et calculer mathématiquement leurs lois dont le réseau très riche semble refléter fidèlement la complexité de la nature.

C'est cet aspect numérique que nous devons maintenant étudier.

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